Arkan, un surnom en cinq lettres qui a fait frissonner les Balkans pendant des années. Arkan, un treillis noir, un béret et un drapeau de la Serbie. Arkan, une écharpe de l’Etoile Rouge sur les épaules, un MP-5 dans une main, un bébé tigre dans l’autre. Arkan, un nom qui nous ramène aux heures les plus sombres d’une Yougoslavie agonisante. Footballski te raconte l’histoire tumultueuse et controversée de Željko Ražnatović, dit Arkan. Cette histoire est celle d’un homme qui a vécu plus de vies qu’un chat, alternant entre ombre et lumière, entre délinquance de rue et vie politique, entre football et guerre…

Željko avant Arkan

C’est en 1952 que Željko Ražnatović voit le jour dans la petite ville de Brežice, en Slovénie alors Yougoslave. Petit, il suit son père, officier dans l’Armée de l’Air, à travers la Yougoslavie au gré de ses affectations. Zagreb, Pancevo puis Belgrade, qu’il considérera à jamais comme son foyer d’origine. Malgré une discipline de fer imposée par son paternel, Željko s’écarte peu à peu du droit chemin. A 14 ans, il passe un an dans un centre de correction pour adolescents après un vol de sac à main dans la rue. Son père décide alors de l’envoyer dans la ville côtière de Kotor, au Monténégro, en vue d’une carrière forcée dans la marine yougoslave. Une carrière dont le jeune Željko ne rêve évidemment pas. A seulement 15 ans, il fugue pour Paris où il est arrêté par la police française puis rapatrié à Belgrade.

En 1969, il est condamné à trois ans de prison pour divers vols et cambriolages. C’est durant cette période qu’il se forge un réseau en prison et commence à mettre sur pied son propre gang. En difficulté dans sa cellule familiale, il est placé sous tutelle de l’État, et en particulier sous la coupe de Stane Dolanc, ami de son père et futur Ministre de l’Intérieur. Proche du président Tito, Dolanc règne en maître sur les services secrets yougoslaves. Un appui de taille pour Željko, qui bénéficiera tout au long de sa vie d’une protection particulière.

Ses rêves européens

Son petit gang local et ses petits larcins belgradois ne lui font guère entrevoir la grande vie de caïd à laquelle il aspire. Non, Željko a des projets bien plus grands pour son avenir. C’est à l’âge de 20 ans qu’il décide de partir à la conquête de l’Europe. Après être passé par l’Italie, terre d’accueil de nombreux criminels d’Europe de l’Est, il décide en 1972 d’émigrer illégalement en Suède.
Une sorte de pays des Bisounours qui ne connait pas le crime organisé, où les policiers ne sont presque pas armés et très peu réactifs en matière de braquages, la spécialité de notre jeune gangster serbe.

Arrivé en terre promise, il va réactiver ses réseaux criminels des Balkans et opérer avec certains de ses complices d’antan ainsi que des gangsters locaux. C’est à la manière d’un Jacques Mesrine qu’il s’attaque à de nombreuses banques suédoises. Souriant et courtois avec le personnel et les civils, il va pourtant montrer aux autorités locales qu’il est prêt à tout pour devenir le patron, à coup de fusillades urbaines et de courses-poursuites en voiture. Et laissant parfois une rose sur le comptoir en guise de signature. L’histoire lui prête notamment comme complice le célèbre Jan Erik Olsson, braqueur de banques à l’origine du Syndrome de Stockholm (une légende aujourd’hui démentie lui prêtait même un mariage avec l’une des ses ex-otages).

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Željko Ražnatović sur le banc des accusés durant sa jeunesse.

Naviguant à droite et à gauche en Europe, c’est à cette époque qu’il garde le surnom d’Arkan, d’abord utilisé comme nom d’emprunt sur un de ses faux passeports turcs. Arrêté en 1973 pour braquage de banque en Belgique et condamné à 10 ans de réclusion, il s’évade six ans plus tard de sa prison avec pertes et fracas. Ajouté sur la liste des dix criminels les plus recherchés d’Europe par Interpol, il est de nouveau arrêté à peine deux mois plus tard. Deux mois qu’il utilise à bon escient puisqu’il a le temps de commettre deux nouveaux braquages en Suède et trois autres aux Pays-Bas. Condamné à sept ans de prison à Amsterdam, il s’en échappe au bout de deux. A peine le temps de commettre d’autres braquages, en Allemagne cette fois, et notre homme est de nouveau pris un mois plus tard, à Francfort en juin 1981. Sa cavale à la sortie d’une bijouterie finit en fusillade avec la police. Son comportement frénétique lui vaut cette fois d’être envoyé dans une prison psychiatrique. Fidèle à sa réputation, il s’échappe de l’institution au bout de quatre jours à peine en volant les habits d’un employé.

Sa capacité à apprendre les langues étrangères, à constamment filer entre les doigts des forces de l’ordre, et surtout sa redoutable efficacité à faire le sale boulot attirent l’œil des services secrets yougoslaves, l’UDBA (Uprava Državne Bezbednosti Armije pour Administration de Sécurité d’Etat). Un service chapeauté par son protecteur d’enfance Stane Dolanc, qui le recrute officieusement pour des opérations secrètes en Europe, principalement des assassinats et autres réjouissances en tout genre. En contrepartie, il bénéficie de l’appui du gouvernement et se voit délivrer plusieurs passeports yougoslaves.

Sa dernière arrestation se produit en 1983 à Bâle, en Suisse, à la suite d’un banal contrôle routier. Incarcéré à la prison suisse de Thorberg, il s’en échappe quelques mois plus tard. Les services secrets yougoslaves seront suspectés d’être dans le coup lors de sa dernière évasion. Cette année 1983 marque la fin de ses aventures européennes. De 1972 à 1983 Arkan aura été condamné pour vingt cambriolages, sept braquages de banques et de multiples tentatives de meurtres ainsi qu’évasions de prisons. Devenu un vrai caïd dans le milieu, il aura fait de la prison en Serbie, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Belgique, en Suède, en Hollande ainsi qu’en Italie.

Pâtisserie et grand banditisme

C’est en mai 1983 qu’il retourne en Yougoslavie, précisément à Belgrade, pour acquérir une pâtisserie. Une simple couverture car il n’est pas question pour lui de se ranger. Il se livre à toutes sortes de business illégaux à travers la Serbie, toujours bien au chaud sous l’aile de l’UDBA, les services secrets yougoslaves. Son commerce de gâteaux et autres sucreries, qui rapporte des millions comme l’on peut s’en douter, va lui permettre de se faire construire une villa marbrée flambant neuve à Dedinje, un des quartiers chics de la capitale qui surplombe le Marakana, le stade de foot du club de Zvezda. Son domicile familial est quant à lui sous surveillance policière. Deux agents en civil sont blessés par balle devant la maison de sa mère en guise de message pour les autorités. Arrêté pour fusillade, Arkan sort de prison deux jours plus tard grâce à Stane Dolanc, son ange gardien.

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La villa d’Arkan, en toute simplicité

L’Etoile Rouge d’Arkan

Multipliant les affaires plus ou moins légales aux quatre coins de Belgrade, Arkan va peu à peu se rapprocher du football. L’extrême violence des supporters qui garnissent les tribunes du championnat yougoslave et notamment celles de l’Etoile Rouge, inquiète alors Slobodan Milosevic. La peur de voir ces ultras sans limite se retourner contre lui le pousse à mettre à leur tête un homme qui saura les garder sous contrôle, et plus encore, utiliser ce formidable potentiel de violence en sa faveur. Arkan devient donc le leader des ultras de Zvezda, les Delije. Il va doucement mais sûrement insuffler une discipline et un mode de vie quasi-militaires à ces ultras. Sobres, rasés de près et bien coiffés, voilà qu’il écarte des tribunes les débraillés et autres réfractaires à l’autorité. A n’en pas douter, Arkan bâtit les fondations de sa future petite armée privée par-dessus celle des Delije.

Il est un leader non pas en tribune, mais bien en coulisses. Véritable gourou, il exerce son influence auprès de ces milliers de supporters à la réputation déjà sulfureuse. Il distille avant chaque match ses consignes avant de s’asseoir en loges, comme le veut sa stature de big boss du milieu. C’est bien Arkan qui décide alors à l’époque de l’attitude à adopter en tribunes, notamment vis-à-vis des non-Serbes, à une époque où la Yougoslavie vacille et voit le nationalisme monter dangereusement en flèche.

Arkan vient de pousser la Yougoslavie dans le précipice, elle n’en ressortira jamais.

Le 13 mai 1990 marque pour beaucoup le véritable début de la guerre des Balkans, à l’occasion du match de l’Etoile Rouge face aux Croates du Dinamo Zagreb au Stade Maksimir.
La Yougoslavie est au bord du précipice en cette année 1990. Les premières élections libres se profilent et les candidats aiguisent leurs lames. Le second tour voit la victoire en Croatie de Franjo Tudjman et son parti du HDZ, pressé de réorganiser ce joyeux bazar à la faveur des siens naturellement. La réponse des Serbes ne va pas tarder à arriver.

Il est temps d’initier cette inévitable fracture qui se prépare avec le voisin croate, ce sera aujourd’hui et pas un autre jour. Plus de 3000 Delije font le voyage et la bagarre générale qui va impliquer des milliers de personnes durant le match aurait été soigneusement planifié. La rencontre n’ira jamais à son terme et la pelouse sera envahie par des milliers de hooligans décidés à en découdre. Sur la pelouse du Maksimir, les policiers et militaires censés calmer la foule se retournent, aux yeux de tous, contre les Croates pour en rajouter une couche. De cet événement naît cette image restée gravé dans l’esprit des croates: le capitaine Zvonimir Boban venant joyeusement envoyer un coup de pied à un policier en train de frapper un supporter croate à terre. Boban devient ce jour-là un héros pour les siens. La haine réciproque des deux camps et leur volonté d’en découdre éclate au grand jour, Arkan vient de pousser la Yougoslavie dans le précipice, elle n’en ressortira jamais.

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Affrontements au Maksimir le 13 mai 1990.

Les Tigres d’Arkan

L’éclatement de la Yougoslavie est en marche, la guerre arrive, et Arkan le sait. Le 11 octobre 1990, accompagné d’une vingtaine d’ultras de l’Etoile Rouge de Belgrade, il fonde la Garde Volontaire Serbe (Srpska Dobrovoljacka Garda). Un bataillon paramilitaire plus connu sous le nom d’Arkanovi Tigrovi, les Tigres d’Arkan. Lorsque la Croatie finit par déclarer son indépendance totale, de nombreuses tensions apparaissent entre communautés serbe et croate, tensions qui précipitent l’enrôlement de jeunes Serbes dans l’unité d’Arkan.

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Les redoutables Tigres d’Arkan, reconnaissables à leurs tuniques noires.

Les Tigres s’illustrent pour la première fois dans le village croate d’Erdut, à la frontière avec la Serbie. La JNA, l’Armée Yougoslave (très majoritairement pro-serbe), fait son entrée dans le village accompagnée de la Garde pour y effectuer un « nettoyage« . Une zone de plusieurs centaines de kilomètres est déclarée serbe et auto-proclamée « Région autonome serbe de Slavonie orientale« . Le village d’Erdut reste célèbre pour son massacre mais aussi et surtout pour avoir accueilli le camp d’entraînement de la Garde Volontaire Serbe. Ici on ne boit pas, on ne fume pas, on fait la guerre et surtout, on obéit au commandant Arkan.

Il déboule au camp d’entrainement des Tigres avec un fusil-sniper posé sur l‘épaule et dans l’autre main un béret croate maculé de sang. Tout sourire, ses premiers mots sont « J’ai tué 24 Ustachis ! ».

Grâce aux financements de Raznatovic ainsi qu’au stock d’armes de la police et de l’armée yougoslave, son groupe grandit pour atteindre un nombre entre 500 et 1000 membres. Cagoules noires et tigre brodé sur l’épaule, la Garde est utilisée pour des opérations de nettoyages ethniques aussi rapides qu’efficaces. En précédent parfois l’armée régulière afin de semer la terreur. Une simple affiche collée sur une devanture de magasin montrant Arkan et ses hommes suffit à faire fuir une bonne partie de la population. Les Tigres sont aussi spécialisés dans les finitions. Ils passent après l’armée pour s’assurer du résultat, expulser les derniers traînards et s’offrir un petit complément de salaire. Assassinats, tortures, pillages et viols, les Tigres d’Arkan inspirent la terreur partout dans les Balkans. Les maisons croates, bosniennes et plus généralement musulmanes sont pillées de fond en comble. Argent, bijoux, matériel hi-fi et même les meubles sont emmenés par les membres de la Garde. Les jardins sont aussi entièrement retournés à la recherche d’argent liquide.

Leader des ultras de Zvezda, Arkan tirait les ficelles en coulisses, donnant ses consignes avant les rencontres. A la tête de la Garde, notre ancien braqueur de banques n’hésite désormais plus à monter en première ligne avec ses hommes. Il fait lui-même ce qu’il exige de ses troupes, ce qui lui vaut le respect et une totale dévotion de la part de ses Tigres. Arkan est un temps porté disparu lors de la tristement célèbre bataille de Vukovar. La presse croate s’empare de l’information et s’empresse d’annoncer la mort au combat du seigneur de guerre serbe. C’est sorti de nulle part que le commandant refait alors surface devant ses hommes inquiets. Il déboule au camp d’entrainement des Tigres avec un fusil-sniper posé sur l‘épaule et dans l’autre main un béret croate maculé de sang. Tout sourire, ses premiers mots sont « J’ai tué 24 Ustachis ! ». Un mot qui désigne les insurgés croates et est issu du mouvement révolutionnaire croate Ustacha qui collabora avec l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Pour célébrer cette victoire historique, il s’offrira quelques temps après un SUV tout neuf arborant une plaque d’immatriculation marquée « Vukovar », tout un programme.

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Le commandant distille ses ordres.

Bien qu’officiellement dissoute en avril 1996, la Garde Volontaire Serbe va rentrer dans le rang en même temps que l’armée régulière et les accords de cessez-le-feu qui mettront fin à plusieurs années de guerre des Balkans. La plupart de ses hommes, déjà liés à différents milieux criminels et déshumanisés par la guerre, retournent alors à la société civile pour exercer de nobles et paisibles métiers, comme porte-flingue pour les gros bonnets du banditisme à travers toute l’Europe et même aux États-Unis. Les anciens Tigres retournés au civil sont autant craints que respectés et bénéficient de nombreux passe-droits en Serbie. « Mieux qu’un passeport diplomatique. Nous étions des célébrités ! », témoigne l’un d’entre eux.

Désillusions politiques

En novembre 1993, Arkan, conscient que les batailles se livrent aussi en costume-cravate, décide de se lancer dans la politique. Héros de guerre pour certains, il exerce plus que jamais son influence autour de lui pour créer le SSJ (Stranka Srpskog Jedinstva), le Parti de l’Unité Serbe, évidemment nationaliste.

« Je ne peux pas vous promettre de nouvelles lignes téléphoniques, je ne peux pas vous promettre de nouvelles autoroutes, mais je promets de vous défendre avec le même fanatisme que celui avec lequel j’ai pris jusqu’à présent la défense du peuple serbe. »

Habitué a se déplacer en 4×4 de luxe et accompagné d’une horde de gardes du corps tape-à-l’œil, Arkan doit essuyer les critiques sur son image de « parrain ». Après que son responsable de campagne ait oublié un jour de lui rappeler d’enlever son énorme Rolex en or avant une apparition télé, on lui demande plus tard s’il est l’homme le plus riche du pays. Il répond: « J’espère bien oui ! ».

Malgré la popularité d’Arkan auprès du public et l’argent investi dans cette campagne, cette frange politique radicale ne connaît pas le succès escompté. Le SSJ se rétame aux élections et n’obtient aucun siège au parlement. Le personnage d’Arkan pose en effet plusieurs problèmes: son passé de gangster, ses mandats d’arrêts délivrés par Interpol, l’extrême violence de ses hommes, tout cela n’envoie pas le bon message. Des voix s’élèvent contre lui, contre l’homme et surtout contre ses méthodes. Mais désavouer le chef de milice qu’il est, ainsi que les agissements de ses Tigres, c’est désavouer la guerre en elle-même. Voilà tout le paradoxe qu’a généré Željko Ražnatović. Il a les mains sales, très sales, mais il les a salies pour la Serbie…

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Un tigre en politique.

Vojislav Šešelj, son rival politique de l’époque ne mâche pas ses mots à propos d’Arkan et de sa courte carrière dans ce domaine, l’accusant de faire kidnapper et assassiner ses rivaux en affaires, le tout avec la complicité des autorités.

« Arkan est devenu une figure incontournable du crime à Belgrade et dans toute l’ex-Yougoslavie. Il est tellement puissant et tellement solide financièrement que personne ne peut se dresser contre lui. […] J’ai publiquement accusé Arkan, j’ai envoyé un rapport à la police. Les inspecteurs de police sont venus me voir, nous en avons parlé. Je leur ai donné toutes les informations que j’avais, mais les inspecteurs m’ont dit qu’ils étaient parfaitement au courant de tout cela [kidnapping & assassinat], mais qu’ils n’étaient pas en mesure de le prouver en raison de la peur qu’avaient les témoins. »

Les deux hommes vont entretenir cette rivalité politique durant un moment, flirtant parfois avec les limites. Šešelj se voit un jour refuser l’entrée du stade pour un match de l’Etoile Rouge, Arkan vient alors à sa rencontre à l’entrée de l’enceinte et lui lance en riant un sympathique « Tu sais combien de personnes j’ai tué pour ce pays ? […] Je vais t’étrangler d’une seule main ». Rappelons qu’en 2012, le tribunal international requiert 28 années de prison pour ce bon Vojislav Šešelj, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre durant les conflits. Les Accords de Dayton, signés en décembre 1995, qui marquent la fin des combats en Bosnie, marquent eux la fin de la carrière politique de Željko et la dissolution quelques mois plus tard de son unité des volontaires serbes. En Juin 1996 il retourne au football pour prendre le commandement du club de l’Obilić Belgrade, alors en deuxième division.

Amour, musique et paillettes

La notoriété d’Arkan dans les Balkans s’est aussi construite à travers sa famille, ses relations amoureuses diverses et plus particulièrement son mariage avec la star de la pop serbe, Zvetlana Veličković, plus connu sous le nom de scène de Ceca.

La vie familiale d’Arkan a commencé bien avant Ceca. Ses aventures suédoises avec une certaine Agneta lui valent un fils nommé Mihajlo (ou Michael en Suède), né à Göteborg en 1975. En 1992, alors âgé de 17 ans, son fils décide de rejoindre son père en Serbie. Des clichés volés par la presse montrent Mihajlo portant l’uniforme des Tigres. La presse suédoise va même jusqu’à affirmer la participation du jeune fils au tristement célèbre massacre de Srebrenica où plus de 8000 Bosniens sont abattus. Mihajlo poursuit aujourd’hui sa vie à Belgrade. Un temps joueur de hockey sur glace pour l’Etoile Rouge et même pour la sélection de Serbie-Monténégro, un temps patron de bar et autres restaurants en tout genre. Arkan reconnaît ensuite deux filles. La première, nommée Sofia, suite à une relation avec une femme belge. La seconde, Angela, avec l’actrice serbe Ljiljana Mijatović. Bien que conçus hors mariage, Arkan reconnaît ces enfants sans problèmes, ne rechigne jamais à les aider et sera toujours considéré comme un bon père, si tant est qu’intégrer son fils dans un bataillon paramilitaire en pleine Bosnie constitue une bonne relation père-fils.

Arkan et son fils Mihajlo
Arkan et son fils Mihajlo.

Le premier mariage d’Arkan intervient avec une dénommée Natalija Martinović, professeure d’espagnol. Une union qui débouche sur la naissance de quatre enfants: deux filles (Milena et Maša) et deux garçons (Vojin et Nikola). Le divorce est prononcé fin 1994 et ses quatre enfants préfèrent alors prendre le nom de jeune fille de leur mère et déménager en Grèce, à Glyfada, où leur père leur achète un appartement.

C’est pourtant bien avant son divorce que commence sa dernière histoire d’amour. Dès l’année 1993, l’ancien braqueur de banque, leader des Delije et redoutable chef de guerre commence à tourner autour de la chanteuse Zvetlana Veličković, véritable star dans son pays, considéré comme la Madonna des Balkans et la mère de la Serbie. Leurs deux personnalités réunies vont faire les choux gras de la presse locale. Le 19 février 1995 est un jour à part pour les Serbes, qui suivent leur mariage en direct sur une chaîne de télévision nationale. Un somptueux et interminable mariage, en costume militaire d’époque pour le puissant guerrier Arkan en présence du Tout-Belgrade. Hommes d’affaires et vedettes en tout genre ont alors vendu père et mère pour être présents à la table des mariés.

Le seigneur de guerre et la diva de la pop durant leur mariage
Le seigneur de guerre et la diva de la pop durant leur mariage.

Devenu Zvetlana Ražnatović, la diva de la pop était finalement prédestinée à croiser le chemin d’Arkan puisque sa jeunesse fut marqué par des aventures avec des footballeurs et des gangsters locaux. Ceca forme avec le commandant un couple détonant et lui offre deux nouveaux enfants, Veljko et Anastasija.

Le Tigre revient en tribune

La guerre terminée, à peine le temps de ruminer ses échecs politiques qu’Arkan décide de revenir à un de ses anciens amours, le football. Un sport qu’il va adapter à ses méthodes de management antérieurs. Il prend en juin 1996 le contrôle du modeste club de l’Obilić Belgrade, club nommé en l’honneur de Marko Obilić, un guerrier s’étant illustré en 1389 dans la mythique bataille de Kosovo Polje contre les Turcs. Le hasard fait bien les choses. Des investissements financiers assez conséquents pour l’époque et le club termine en tête du Groupe B, qui représente alors la deuxième division. L’Obilić est donc promu dans le groupe A et accède à l’élite pour la première fois de son histoire. Fraîchement promu, le club continue son ascension fulgurante en s’emparant du titre dès sa première saison (97-98) en première division. Le système de ligue A & B est finalement abandonné cette année-là, laissant place à un championnat unique à 18 clubs, puis 22 la saison suivante. C’est à cette époque que l’Obilić entame une série exceptionnelle de 47 matchs sans défaite, entre 1997 et 2000.

Arkan président de l’Obilić
Arkan président de l’Obilic

Cette deuxième saison parmi l’élite est marquée par une nouvelle guerre dans les Balkans. L’OTAN intervient au Kosovo et le championnat n’ira jamais à son terme. Interrompu en mai 1999 après la 24ème journée, le classement reste figé et le Partizan Belgrade est déclaré vainqueur avec seulement deux petits points d’avance sur l’Obilić. Après une défaite la saison précédente en tour préliminaire de Ligue des Champions face au Bayern Munich, le club belgradois se voit refuser sa participation aux coupes d’Europe, à l’inverse de ses camarades du Partizan (C1), de l’Etoile Rouge (C3) et de Vojvodina (C3). En cause évidemment les liens entre le président Arkan et les milieux criminels de Serbie. Une décision qui l’amène à céder les rênes du club à sa femme Ceca Ražnatović.

Le magazine anglais FourFourTwo a notamment recueilli le témoignage d’un joueur disant avoir été séquestré dans un garage le jour où son équipe affrontait l’Obilić.

L’ascension fulgurante de son club de foot est entachée de nombreuses controverses, comme toujours avec Željko me direz-vous. Le président est accusé de menacer ses joueurs en cas de contre-performance. Des accusations qui ne tiendront pas, contrairement à celles lancées notamment par le journaliste et écrivain américain Franklin Foer, sur des menaces proférées à l’encontre de joueurs adverses en cas de but marqué face à l’Obilić. Vrai ou non, il faut être solide pour affronter le club sur son terrain. Le noyau dur des fans de l’Obilić se compose alors d’anciens membres de l’armée, probablement de la belle et douce garde volontaire d’Arkan. Résultat: menaces, chants xénophobes et toute la panoplie. Un pistolet aurait même été pointé depuis la tribune en direction d’un joueur adverse. Le magazine anglais FourFourTwo a notamment recueilli le témoignage d’un joueur disant avoir été séquestré dans un garage le jour où son équipe affrontait l’Obilić.

Bien évidemment ses admirateurs disent que le Tigre savait parler à ses joueurs, les motiver et tirer le meilleur d’eux-mêmes. Comme en Bosnie…
Arkan et ses méthodes de gangster ont peut-être posé les bases d’un football serbe gangrené aujourd’hui encore par les mafias, les criminels et la corruption. Nul ne saurait vraiment expliquer la réussite si rapide de son nouveau « clan. »

Obilić, le football en talons aiguille

Forcé de s’éloigner du football, Arkan confie donc les rênes du club à sa femme, la chanteuse Ceca. Peu emballée par l’idée, elle passe rapidement le témoin à Žarko Nikolić avant de reprendre la présidence en août 2000, quelques mois après la mort du commandant.

Ceca à la tête du club après la mort d'Arkan
Ceca à la tête du club après la mort d’Arkan.

Seule à la tête de la présidence, le club va amorcer une lente agonie au début des années 2000. Dans l’impossibilité de concurrencer les cadors que sont Zvezda et le Partizan, l’Obilić reste cantonné à jouer les seconds rôles. Troisième en 2000-2001, quatrième en 2002, puis septième et onzième, le club est relégué en 2006 lors de la dernière édition du championnat de Serbie-Monténégro, avant la séparation des deux pays. L’année suivante en seconde division est elle aussi synonyme de descente, cette fois en Srpska Liga (D3).

Derrière son opulente poitrine, ses chaussures à talons et ses robes moulantes, Ceca n’en reste pas moins la grande patronne et impose des sanctions financières strictes aux joueurs décevants. L’heure est aux économies et malgré quelques petits investisseurs étrangers, le club sombre peu à peu dans l’anonymat. En 2011, Ceca est condamnée pour abus de confiance et possession illégale d’armes à feux. La police met la main sur onze armes à son domicile et le procureur l’accuse d’avoir détourné de l’argent d’une quinzaine de transferts effectués lors de la relégation du club. La chute vertigineuse se poursuit dans les bas fonds de football amateur serbe et se termine en Troisième Ligue de Belgrade, l’équivalent de la 7ème division.

Les supporters de l'Obilic honorent encore leur ancien président
Les supporters de l’Obilic honorent encore leur ancien président

Mort comme il a vécu

Le 15 janvier 2000, Arkan sort de l’hôtel InterContinental de Belgrade avec ses gardes du corps, ses invités et sa femme. Deux tueurs se glissent derrière lui et ouvrent le feu à l’arme automatique. Son ami Milenko Mandic est tué ainsi que Dragan Garić, un de ses gardes du corps. Touché à la tête, Arkan est transporté en urgence à l’hôpital mais décède durant son transfert dans les bras de sa femme Zvetlana.

« Arkan est mort comme il a vécu, comme un chien sauvage »

Voici ce que titre un quotidien de Sarajevo au lendemain de sa mort. L’annonce de sa disparition choque les Balkans tout entier, alors plongés dans un climat de suspicion autour de son assassinat. Il faut attendre plusieurs années pour voir l’arrestation de son assassin, Dobrosav Gavrić, condamné à 30 ans de prison malgré la clameur de son innocence. La véritable raison de cet assassinat reste encore à déterminer. Nombreux sont ceux qui avancent la thèse du nettoyage gouvernemental. En effet la mort d’Arkan fait suite à la disparition de six autres personnes inculpées pour des crimes de guerre en ex-Yougoslavie. Slobodan Milošević, aurait-il fait le ménage autour de lui afin d’éviter que le linge (très) sale de la Serbie ne soit étalé dans une cour de justice ? Impossible à vérifier au vu des nombreux ennemis que s’était fait le commandant au fil des années et de ses nombreuses vies.

La tombe du commandant au cimetière Novo Groblje à Belgrade
La tombe du commandant au cimetière Novo Groblje de Belgrade.
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Graffiti en l’honneur du commandant à l’entrée du stade de l’Obilic.

Fin de parcours à La Haye

Comme bon nombre de ses camarades serbes, Arkan est mis en accusation par le TPIY (Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie) pour pas moins de 24 chefs d’accusation relatifs à des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et de multiples violations de la convention de Genève. Le package complet en somme.

Accusé en 1999 par le procureur du TPIY, ces accusations ne sont rendues publiques qu’après sa mort en janvier 2000. Le commandant de la terrible Garde Volontaire Serbe n’aura finalement jamais comparu devant le tribunal de La Haye, peut-être pour le plus grand soulagement de certains officiels serbes. Qui sait ce qu’Arkan aurait pu déballer à la barre ?

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Arkan, commandant de la terrible Garde Volontaire Serbe.

Les neuf vies du tigre

Il y a plusieurs milliers d’années, les Egyptiens avaient noté l’extrême résistance des chats face à la mort. De là est née la légende des neufs vies. Il semblerait que les tigres aient aussi neuf vies. En tout cas, notre tigre à nous, celui des Balkans, en a vécu au moins neuf. Tour à tour petit gangster, braqueur de banque, homme d’affaires, gérant d’une pâtisserie, leader des Delije, seigneur de guerre, homme politique, mari d’une pop-star, président de club, Željko Ražnatović dit Arkan est passé au travers des balles durant 47 ans. Quarante-sept années durant lesquelles il a marqué profondément et à jamais l’histoire des Balkans.

Lui le petit Željko, délinquant de Belgrade qui arrachait les sacs à mains, est devenu le puissant et redouté Arkan. Entre criminel de guerre à abattre et mythe du héros national suscitant respect et admiration, vous êtes seul juge …

 

Rémy Garrel

12 Comments

  1. Filip 25 juin 2015 at 23 h 08 min

    superbe article!

    Reply
    1. Rémy Garrel 26 juin 2015 at 0 h 01 min

      Merci Filip 😉

      Reply
    2. Anonyme 30 juin 2021 at 16 h 44 min

      Très bel article. Complet et bien structuré.

      Reply
  2. Tom 27 juin 2015 at 23 h 05 min

    Merci pour cet article !

    Reply
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  7. Hyde 14 mai 2016 at 8 h 21 min

    Très bon article pro/ serbe ou pas , c’est bien écrit et résumé .

    Reply
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