Dans cette nouvelle série, nous allons nous attarder sur la capitale polonaise, Varsovie. Ville emblématique du renouveau de la Pologne, de son histoire, mais aussi de son football. Vous connaissez certainement l’aéroport Chopin, le Palais de la Culture et de la Science, le soulèvement de la ville et son ghetto, mais connaissez vous ses quartiers, ses mythes et ses petites histoires se cachant dans la grande ? À travers différents clubs plus ou moins connus de la capitale polonaise, nous allons vous faire découvrir ce Varsovie bien différent des bus à impériale qui, en deux heures, vous promettent de tout voir, de tout savoir, de tout connaître.

Ensemble nous allons nous faufiler entre les clubs méconnus de la capitale qui pour la plupart naviguent dans les profondeurs des divisions inférieures. Nous allons vous emmener là où même les sirènes ne descendent plus pour chanter et où se mêlent ambiances de marché, tatouages de gros durs (ou pas), et kermesse de fumis craqués par une poignée d’ultras irrésistibles, le tout dans des gradins faits de béton armé décrépit ou derrière une simple balustrade rongée par la rouille et la pluie.

Ce n’est pas seulement un crie dans le vide, un Against Modern Football récité comme un psaume, mais avant tout l’occasion de vous faire découvrir une autre facette du football polonais à travers sa capitale et ses basses divisions, celles qui vibrent loin des coup francs de Lewandowski ou des soirées parisiennes de Krychowiak. Bienvenue, là où le foot est religion, là où le terrain est un sacerdoce, là où les rafraîchissements ont parfois un gout de houblon plus prononcé que la normale et où le cœur de Varsovie bat. Pour ce premier épisode, bienvenue au bord de la Vistule, au nord-ouest de Varsovie, terre de labeur de l’Hutnik Warszawa.

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Tout change, le métal reste

Dans les années 1950, Varsovie est une ville industrielle encore en reconstruction après les horreurs et les plaies béantes laissées par la Seconde Guerre mondiale. Une ville nouvelle commence à s’ériger, une capitale du renouveau, plus moderne, la « Paris de l’Est » est en pleine mutation. Les grands ensembles de béton font leur apparition. Ici et là, comme des verrues historiques, des bâtiments à demi écroulés vous rappellent qu’il y a peu tout n’était ici que désolation. Les rues se repavent et s’élargissent, les tramways refont sonner leurs carillons et les bus refrolent les badauds sur les ponts. Tout change à vitesse grand V, mais beaucoup d’églises nefs éventrées restent témoins d’un si proche passé. Dans son district populaire de Bielany, où les petites baraques de bois et autres maisons de bric et de broc fleurissaient auparavant, les temps changent aussi, mais un peu moins vite qu’ailleurs.

Les ouvriers travaillent toujours aussi dur dans les hauts fourneaux ; conditions inhumaines, chaleur étouffante du métal en fusion dans un Etna artificiel en éruption permanente laissant s’écouler une lave fluide et incandescente. Magma dégelant de la cuve pour être transformé en barres d’alliage épaisses et lourdes. Un travail de forçat, pénible pour une paie de misère. L’acier, c’est l’or des miséreux, le gagne-pain des « sans-grades » qui travaillent durs, comme les mineurs de Silésie, pour créer cette nouvelle Pologne qu’ils ne verront sans doute jamais, la faut à des poumons rongés, des corps intoxiqués, des têtes vacillantes. Bielany et ces différents quartiers qui enlacent les cheminées toujours vaporeuses des hauts fourneaux en ces années de changements, les baraques de fortunes où les ouvriers s’entassent à quelques hectomètres de leur lieu de travail dans des conditions de vie dantesques, tout cela change aussi.

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A la fin des années 50, les grands ensembles font leur apparition et poussent comme des champignons autour des usines. Des cages à lapin de béton et d’acier enfermant les ouvriers et les rapprochant du soleil. Les conditions de vie s’améliorent petit à petit, un confort toujours spartiate, mais loin des taudis du passé. Les routes se goudronnent, les arbres prennent place autour de ces via de macadam bordée par les bâtiments rectilignes et austères. Varsovie se fait « une nouvelle skyline », mais Bielany reste Bielany, foyer sidérurgique et ouvrier d’une ville en mutation. Terreau populaire et fertile pour un club de foot, les ouvriers ayant plus que quiconque besoin de divertissement et de rêves. Ce club de foot sera l’Hutniczy Klub Sportowy (Club Sportif des Métallurgistes) dans la lignée d’autres clubs des ouvriers de l’acier à travers l’Europe comme l’éphémère et défunt Metalurg Donetsk, le Metalurg Rustavi, l’Hutnik Krakow et bien d’autres.

Un blason pour âme sur le poitrail

Le terrain de jeu de ces métallos, vous l’avez compris, se trouve donc dans ce district de Bielany ; là, près de leur usine et de leur foyer. Entre le quartier de Radiowo surplombé par les terrils, Mlociny bordant la Vistule et Huta quartier central du district de Bielany, coeur et poumon toujours rougeoyant et écumant une fumée poisseuse à travers ses longues cheminées de briques.

polskielogo.net

Le blason du club raconte à lui seul l’Histoire de ces quartiers, de ce district, de Varsovie. L’orange, tout d’abord, que l’on retrouve aussi sur le maillot du club, symbolise ce métal en fusion, cette lave qui sort du gueulard. Le noir, lui, symbolise le minerai, le charbon nécessaire à la fusion sacrée du métal. La couronne de laurier, emblème antique de la victoire et de l’immortalité, référence au sport bien sûr, mais aussi à l’âme de ces ouvriers du métal qui seront toujours présents dans ce monde, la mémoire collective ne les oubliant jamais. De grands hommes de leur temps construisant la Pologne moderne. Enfin, les éléments les plus importants, les trois cheminées couronnant une sirène. Ces trois cheminées, symbole des hauts fourneaux du quartier d’Huta, outil de labeur des Hutnicy, sont l’âme et le corps de ce district de Bielany. Et la plus belle de toute : cette sirène.

Quiconque est déjà allé à Varsovie reconnait cette sirène, comme celle de Copenhague, cet être mi-femme mi-poisson est le symbole de la capitale polonaise, mais peu de gens en connaissent la raison. Il fut un temps, deux sirènes nageaient dans la Baltique jusqu’à ce qu’elles se séparent. L’une décidant de partir vers le Danemark, la seconde de remonter la Vistule jusqu’à y trouver un bel endroit sablonneux entouré de verdure afin de s’y reposer. Conquise par le lieu, elle décide alors de s’installer dans un petit village de pêcheurs à l’emplacement actuel de Varsovie. Mais cette belle créature empêchait les pêcheurs de travailler correctement, ces derniers devant se contenter de filets vides et troués du fait d’un régime alimentaire composé de poissons frais. Malgré tout, ses chants et sa sublime chevelure provoquèrent l’admiration et l’amour des travailleurs du fleuve.

Piotrek Bukowski

Un beau jour, un commerçant se baladant au bord de la Vistule décide de la capturer pour que tout cela cesse, mais aussi pour pouvoir l’admirer, dans un plaisir personnel, enfermé dans un aquarium géant. Les pêcheurs, interloqués par la disparition de la divine créature, décidèrent de remuer ciel et terre pour savoir ce qu’il était advenu de leur charmante amie. Un beau matin, le fils d’un pêcheur se promenant dans le village entendit les chants et sanglots de la sirène dans une petite hutte. Il décida alors d’appeler les autres villageois pour la libérer du joug de son ravisseur. En guise de remerciement, la belle femme poisson protège la ville pour l’éternité. Depuis, avec son épée et son bouclier, elle trône fièrement sur le Rynek de la vieille ville, en face du stade Narodowy au pied du pont Swietokrzyski et sur le blason de l’Hutnik Warszawa. Comme vous pouvez le constater, c’est donc l’Histoire de Varsovie, de Bielany et de ses habitants qui se racontent à travers le blason du club, dans un condensé de culture, de mythes et de souvenirs.

Des haut fourneaux aux terrains fournis

Fondé le 21 avril 1957, le Hutniczy Klub Sportowy, qui a fêté ses 60 ans dans une petite liesse, est avant tout un club multisports (volley, voile, football …) qui ne prend son nom d’Hutnik Warszawa qu’en 1965. L’Histoire du club des métallurgistes de Varsovie n’est pas la plus garnie du football polonais ou même du football varsovien. Le club n’a jamais connu les joies de la première division polonaise ou d’une finale de coupe de Pologne. La meilleure performance de son histoire est sans doute sa sixième place en seconde division, en 1993, les années 90 étant les années fastes du club avec la participation cinq ans de suite à cette même seconde division avant de sombrer petit à petit dans les abîmes des divisions inférieures polonaises. S’il n’est pas un club aux résultats qui comptent en Pologne, c’est avant tout un club attachant, de par son atmosphère, de par son histoire, de part ses personnages.

L’Hutnik possède une alliance avec le grand club de la capitale, le Legia Warszawa. Ce rapprochement vient du fait (mythe ou réalité) qu’à la fondation de l’Hutnik, le Legia fut le premier club à offrir maillots, shorts et équipements au petit club de la « Huta. » Une amitié qui tient encore de nos jours où vous pouvez voir quelques Hutnicy dans les travées du L3 les jours de matchs. Les années 90 s’en souviennent, cette amitié à son summum ayant fait trembler quelques grilles de parcages visiteurs, quelques groupes de policiers antiémeutes et quelques hooligans polonais venus d’une autre partie de la ville sous les couleurs du Polonia.

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Les petites histoires dans la grande

Si son histoire sur le terrain n’est pas plus marquante, et encore moins que les sorties autrefois de ses hooligans, l’Hutnik est un club à petites histoires qui méritent le détour. Premièrement, le club peut se targuer d’avoir vu un grand joueur polonais sous ses couleurs. L’ex-international polonais aux plus de cent sélections, Michal Zewlakow, prêté par le Polonia Warszawa, a en effet porté le maillot des Hutnicy lors de la saison 1995-96, pendant quatre petits matchs certes, mais tout de même. Si Zewlakow est devenu une star bien après son passage, le club des métallurgistes possède sa propre star. Un homme avec plus de 330 matchs et 130 buts au compteur, une figure locale, une égérie ayant fait toute sa carrière dans ce club durant dix-neuf saisons de sa vie. Un capitaine courage ayant quasiment tout connu, du pire au meilleur, que ce soit avec les équipes de jeunes, la réserve ou l’équipe première. Enfant de la « Duma Bielan », Mariusz Szymaniak -et son physique de déménageur du dimanche en fin de carrière- a affolé les compteurs du club et chauffé les mains des quelques supporters présents à la Marymoncka durant ses exploits. Son centième but, en 2012, sur penalty, est l’apogée d’une carrière d’un capitaine préférant la bière aux boissons énergétiques et les pierogis aux régimes d’Anna Lewandowska dans les pages nutrition de Twoj Styl.

L’Hutnik est une famille. La Bielańska Rodzina, l’hymne d’un club fier de ses origines. Une communauté fière d’appartenir à ce district, fière d’appartenir à cette terre, « Duma Bielan » comme le disent les gens d’ici. Mais une famille qui se retrouve de moins en moins dans le « grand » stade de l’ulica Marymoncka. Les années de petites gloires sont passées et le temps s’écoule au fil des matchs et des défaites. Comme un sursaut, en 2008, le club remporte la coupe de Mazovie contre l’équipe réserve du Legia Warszawa. Le reste est une longue longue descente vers les profondeurs des ligues polonaises jusqu’à la Klasa-B (8e division), en 2012, suite à sa liquidation judiciaire. Une saison au purgatoire devenue celle de la renaissance au plus bas de l’échelle du football polonais. Une saison qui les voit obtenir leur montée, invaincue, avec une différence de +188 (188 buts marqués pour 0 but encaissé). Un record. Une histoire folle comme on les aime dans ce petit coin de Varsovie fier comme un bar-tabac. L’Hutnik est éternel.

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Bielańska Rodzina, la grande famille de Bielany

Le club joue maintenant en IV Liga (5e division) et son stade défraîchi sent les belles heures des années 90 passées. Avec une capacité de 6240 places, dont la moitié assise comprenant précisément 538 sièges bigarrés, il est un objet à part entière à aller visiter. Posé là, dans le quartier de Marymont,d’où vient le plus vieux club de Varsovie, entre la lisière d’un petit bois et la grande artère Marymoncka traversant Bielany, ce stade aux gradins de béton  pour l’une et d’une simple butte de terre pour l’autre moitié est à l’image de son club délabré, mais tellement attachant. Les petits sièges de couleurs diverses, les baraques de tôle pour protéger les bancs, les immeubles à l’architecture communistes comme horizon. Si vous faites du groundhopping, il vous faut absolument le visiter un jour de match. Vous y croiserez quelques anciens qui vous raconteront alors les épopées fantastiques du club, la construction jamais terminée de ce nouveau stade en 1985 ou encore cette fête des 60 ans. Tout ça autour d’une bière achetée au sklep sur le chemin.

Hutnik Warszawa

Car oui, l’Hutnik a fêté ses 60 ans avec des bougies fumigènes comme au bon vieux temps, Bielańska Rodzina à fond les ballons dans la sono et quelques souvenirs dans les gradins et sur le terrain. Loin des volontés défuntes d’en faire l’un des plus grands clubs de Varsovie en fusionnant avec le Marymont Warszawa, le club vivote tranquillement, mais n’est pas à l’abri de déconvenues financières comme dans le passé. ArcelorMittal est le nouveau poids lourd de la Huta, ayant même fait installer dans Bielany ses sculptures contemporaines gigantesques en acier pour montrer sa force, en nouveau roi Ubu de sa puissance sur la sidérurgie polonaise. Mais le géant indien n’aide pas le petit club comme autrefois la Huta Warszawa avant sa privatisation. Il doit donc dès lors trouver des moyens alternatifs pour faire rentrer des zlotys dans les caisses. En 2015, l’Hutnik Warszawa reprend une méthode approuvée par l’Hutnik Krakow en 2012, un calendrier type « Pirelli », opération séduction payante auprès de la gent masculine supportrice du club. Alliant les codes du club, un côté antique et un peu de dénudés, le calendrier se vend comme des petits pains rapportant un petit pactole salvateur.

L’Hutnik devrait se maintenir en IV. Liga cette saison. Actuellement à la 13e place, il attend des jours meilleurs qui ne viendront peut-être jamais. Mais dans les cœurs des habitants de Bielany coule encore le métal en fusion, les dures semaines de travail égayées par les matchs de leur club, leur âme posée sur le long de la ligne de touche les samedis ou dimanches. On ne visite pas Bielany, on l’observe. On ne fait pas rapidement partie de cette famille, mais assister à un match de l’Hutnik et avoir porté haut, bras tendus vers les cieux, les couleurs noir et orange ornant l’écharpe achetée avant d’entrer dans l’arène de l’ulica Marymoncka vous donne le droit pour deux heures d’être l’invité de prestige.

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Loin du Rynek, de la vieille ville et de tous ses atours, loin des strass du Legia Warszawa, l’Hutnik vous accueille pour quelques zlotys sur un siège en moulée ou dans ses gradins en bétons. Quelques ultras chanteront encore les louanges de leur club auprès de vous. Pour le reste, nous vous laissons la joie de le voir de vos propres yeux. Malheureusement pour vous, observer la technicité et la renardise des surfaces de Szymaniak n’est plus possible depuis son départ de son club de coeur il y a deux saisons.

Après le match et une discussion dans un polonais approximatif ou un anglais au fort accent, retournez vers le métro en remontant la Marymoncka puis tournez sur votre droite jusqu’à arriver sur la Plac Konfederacji, vous y trouverez alors un café, un café français, le Café de la Poste. Commandez votre sandwich dans l’une des deux langues de Chopin, l’air heureux et satisfait, une bière polonaise en main, votre écharpe de l’Hutnik dans l’autre, le soleil rasant des dimanches d’automne et l’impression d’avoir découvert une petite facette enchantée de cet autre Varsovie, de cette autre histoire.

Warszawa Metro

 

Mathieu Pecquenard


Image à la une : Création originale, photo tirée du calendrier du club

Bonus: Le making of du Calendrier par ici

3 Comments

  1. Will_bx 29 mai 2017 at 20 h 37 min

    Superbe article … vivement le reste de la série 😉

    Reply
  2. Nathaniel 30 mai 2017 at 8 h 32 min

    Article touchant.
    Franco-polonais, j’habite a Varsovie depuis plusieurs années, je connais assez bien le Hutnik: je suis membre du club de tir sportif ZKS Warszawa (Zwiazkowy Klub Strzelecki Warszawa) dont le complexe de tir jouxte le stade du Hutnik. Quand le Hutnik et mon ZKS organisent des matches le même jour, il n’est vraiment pas facile de se garer dans les environs!
    Pour la suite de votre série, n’hésitez pas a évoquer le Gwardia Warszawa, qui a éliminé Bologne en Coupe des Coupes 74/75 , ou le Warszawianka qui est l’un des seuls clubs a ne pas avoir été relégué de la Pierwsza Liga dans l’entre-deux-guerres.
    Ne pas oublier les clubs Juifs, qui aujourd’hui n’existent plus, en particulier le Makabi Warszawa fondé en 1915, qui était le plus grand club Juif de Varsovie, de Pologne, et peut être même d’Europe.

    Cordialement,
    Nat

    Reply
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