En cette année 2016, le Legia Varsovie a célébré son centième anniversaire. Tout au long de cette dernière semaine de l’année, Footballski vous propose un voyage dans le temps, à la découverte des origines du club polonais.


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Et voilà, c’est terminé. En ce dernier jour de l’année, voilà que notre série sur la genèse du Legia Varsovie prend fin. De Piłsusdki en passant par les prémices du football les Légions, sans oublier Stanislaw Mielech, l’homme qui donna un nom à ce club, ou encore le duel entre Lechia et Legia pour un stade, voilà que vous en savez maintenant un peu plus sur l’histoire de ce club. Pour finir en beauté, on a décidé de vous compter l’histoire du plus grand joueur que le club ait connu. Ce joueur, c’est  Kazimierz Deyna.

Quoi qu’il en soit, ce dernier article se devait d’être différent et un peu grandiloquent, un poème en prose qui n’aurait pas valeur de biographie exacte et fournie. Car il faut savoir parfois laisser parler l’âme, celle qui enchante et qui laisse place à l’imaginaire. Nous avons donc opté pour un choix qui pourrait en irriter quelques-uns, le lien avec la véritable genèse pourrait être ténu, mais, peu importe, parler du Legia sans évoquer celui que l’on surnomme Kazik, Kaka, le Generał ou Kasiu serait un blasphème.

Dans notre dernier épisode (Lire aussi : #4 Genèse du Legia Varsovie – Le jour où le Lechia Varsovie a voulu remplacer le Legia Varsovie), nous avions quitté un stade du Legia Warszawa tout juste construit et inauguré par le Maréchal Piłsusdki au numéro 3 de la Łazienkowska. C’est devant ce même stade, 75 ans plus tard, que nous nous retrouvons aujourd’hui.

La foule habillée de blanc et noir arrive par grappes épaisses en ce dimanche, jour de match à Varsovie. Il ne fait pas particulièrement beau cet automne et les derniers rayons d’un soleil flirtant avec l’horizon ouvrent de fines brèches lumineuses dans le ciel de la capitale polonaise. Ces éclaircies viennent sécher les petits pavés qui jonchent le parvis du Ł3 avant que la foule ne se décide à monter dans les grands escaliers de fers menant aux différents secteurs du stade. Des vendeurs à la sauvette vendent des écharpes «Made in China» de piètre qualité sur lesquelles deux mots se détachent et tranchent par rapport au fond de laine colorée de rouge et vert: Legia Warszawa.

L’ambiance est familiale et bon enfant même si les membres de la Żyleta se font déjà entendre, entonnant leurs chants dès l’extérieur de l’antre comme un groupe militaire en parade, une légion avant le fatidique combat. Et moi dans tout ça je suis là, admiratif et émerveillé. Les gens parlent par petits groupes, je les évite et me dépêche, me faufilant pour pouvoir atteindre une échoppe à l’intérieur du stade où je pourrai déguster une saucisse accompagnée de ketchup et d’un petit pain bon marché servi dans une traditionnelle assiette en carton.

Tout à coup, la foule s’arrête. Le flot de personnes arborant maillots immaculés et noirs se scinde en deux flux distincts, comme la mer rouge devant Moïse. J’aperçois alors ce Moïse qui fait s’écarter cette marrée humaine. Un Moïse de bronze, une statue plus précisément. LA statue même. Celle du Generał, de la légende du Legia Warszawa. Cette statue, c’est celle de Kazimierz Deyna.

Statue de Kazimierz Deyna devant le Ł3 – Peterjon Cresswell

Telles une icône religieuse, une Vierge à l’enfant, Deyna sanctifié par ses exploits balle au pied avec le Legia et l’équipe de Pologne trône dans un de ses mouvements gracieux que le temps a laissés à la postérité sur ce parvis.

Certains touchent sa main gauche comme pour le saluer sobrement ou obtenir une bénédiction du divin numéro 10, d’autres se prennent en photo devant lui comme devant un monument classé patrimoine de l’UNESCO, écharpe du Legia à son effigie autour du con ; certains, d’un regard furtif, admirent l’élégance de ce qui s’est fait de mieux dans l’histoire du football polonais avant d’incliner légèrement leur tête en signe de respect, enfin d’autres s’arrêtent semblant se signer en guise de dernière prière psalmodiée avant le match du jour.

Kazimierz Deyna est plus qu’un joueur de football. Deyna est un être parfait, fait de grâce, d’intelligence et de grandeur. Un homme envoyé par les dieux dont la mission n’est autre que de nous faire chavirer durant 90 minutes. 90 minutes de bonheur devant du génie. Un football, mais aussi une carrière militaire. Finalement, Deyna représente à lui seul les bases et l’histoire de ce Legia Varsovie, ce WKS Legia qui s’était alors formé sous la houlette de Litwinowicz dans une des salles du château royal de Varsovie.

Comme une comète, de Starogard Gdański a Varsovie 

Kazimiez Deyna est né en 1947 en Poméranie, près de Gdańsk, dans la petite ville de Starogard Gdański. Cinquième enfant d’une famille polonaise nombreuse et de classe moyenne inférieure, le petit Kasiu commence par jouer au football, comme ses frères, dans les équipes de jeunes de Starogard Gdański. Ses performances, plutôt correctes, lui permettent d’obtenir quelques minutes de jeu en équipe première et même de participer à une victoire sur le voisin honni, le Lechia Gdansk, lors d’un match de coupe régionale.

Deyna est alors un très bon jeune joueur de 16 ans qui a déjà des aptitudes extraordinaires pour son âge et un QI football élevé, mais les éducateurs des équipes nationales polonaises ne le remarquent pas lors d’un premier séjour de détection dans le nord de la Pologne.

Cependant, Kasiu s’impose petit à petit en équipe première de sa ville natale et finit par être sélectionné avec les jeunes Polonais (U-19) en 1965, il n’a alors 18 ans. Son ascension rapide due à un talent précoce connait pourtant un coup d’arrêt brutal.

Ses parents, voulant bien faire et trouver un club de plus haute réputation pour leur jeune prodige de fils, décident, dans son dos et celui de son équipe, d’organiser un transfert et de parapher un contrat avec l’Arka Gdynia, le tout sans aucune autorisation et en outrepassant toutes les règles dictées par la fédération polonaise. Cette erreur parentale vaut à Deyna une suspension de trois mois puis de neuf mois, le privant de jouer avec son club, mais l’autorisant à participer à ses premiers rassemblements avec les espoirs polonais (U21).

S’il n’est pas furieux, il en veut tout de même un peu à ses parents, mais son père travaille dur pour subvenir aux besoins de la famille. Malgré tout, fin 1966, il décide de les quitter, ainsi que cette vie de petite bourgade polonaise, pour rejoindre son frère, à Lodz, après que son contrat soit terminé à Starogard Gdański.

Comme dans un film de celle qu’on surnomme Holly Łódź, Kasiu signe un contrat avec l’ancien champion de Pologne 1958, le ŁKS. Il n’a alors que 19 ans. Tout va très vite, trop vite ? Peut-être, mais pas pour lui ; et le 8 octobre 1966 Kazimiez Deyna joue son premier match de première division polonaise contre le grand Górnik Zabrze de Lubański.

Archive du LKS Lodz – Match contre le Gornik Zabrze

Mais le petit Kasiu a la bougeotte. Un mois seulement après son premier match avec Łódź, voilà qu’un autre club toque à sa porte. Ce club, c’est le Legia Warszawa. A 19 ans, le beau et jeune Kazimierz Deyna découvre Varsovie. Personne ne pense alors que ce jeune homme qui arrive tout juste dans la ville les étoiles plein les yeux deviendra l’étoile la plus brillante de la galaxie du football polonais. Mais avant ça, il y a l’armée.

Un soldat pas comme les autres

L’histoire de Kazimierz Deyna avec l’armée polonaise n’est pas un long fleuve tranquille. Ce dernier fait tout pour échapper à son service militaire avant de signer au Legia. Appelé à servir sous le drapeau blanc et rouge frappé de l’aigle, il décide tout d’abord de s’enfuir durant une nuit de l’automne 1966, puis de se cacher pour éviter les services de l’état venant le chercher. Deyna le sait, sa carrière de footballeur peut se trouver freiner s’il doit faire son service militaire, sachant qu’en Pologne ce service peut durer jusqu’à trois ans selon le corps d’armée d’affectation. Suite à cette fugue, il est finalement emprisonné l’espace une nuit avant d’être relâché avec obligation de faire son service militaire dans les deux ans, convocation à l’appui.

Legia.com

C’est finalement après son arrivée à Varsovie et au Legia que Deyna doit servir sous les drapeaux. Comme nous l’avons vu ensemble, le Legia Warszawa est un club à l’histoire militaire, et une partie de ses infrastructures est encore gérée par l’armée. Autant dire que Deyna n’a pas vraiment le choix.

Kasiu est de force inscrit dans cette tradition, dans ce moule, mais d’une façon un peu différente et plus tôt en dilettante. Il ne fait qu’un mois, un mois de conscription qui commence le 8 octobre 1968. Durant cette période, Deyna est sergent, mais un sergent privilégié dans sa brigade, il dit d’ailleurs lui-même « Les autres soldats ne me traitaient pas comme un des leurs, je n’étais pas un militaire pour eux. » En fait, il n’en a pas l’étoffe, tout simplement. La carrière militaire n’est pas faite pour lui. Lui, le jouisseur et l’artiste.

Si Kazik vit dans un centre aux allures de caserne juste à côté du stade où sont parqués quelques soldats et joueurs, il ne participe pas à tous les exercices et peut vivre sa vie de civil presque normalement en jouant au football et s’entraînant durant cette période, même si les sorties sont limitées, l’alcool, lui, n’est jamais bien loin. Un jour son lieutenant vient contrôler lit, tenue et coupe de cheveux des hommes de la baraque, tous sont inspectés de la tête aux pieds et Deyna ne déroge pas à la règle. L’inspection terminée le lieutenant lui demande: « Cette coupe de cheveux Kasiu, ce n’est pas réglementaire, tu le sais. Va chez le coiffeur!« 

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Deyna tremble à l’idée de n’avoir plus que trois centimètres de cheveux sur le crâne, lui qui joue de son physique de jeune premier pour attirer ses aventures varsoviennes dans son lit. Mais en quittant la pièce, juste après lui avoir tapé dans le dos, le lieutenant le rassure : « Kasiu, ne t’inquiète pas, fait rafraîchir tes rouflaquettes, ça suffira.« 

Même si ce mois de conscription est court et très peu militaire, il aura un grand impact dans le futur pour Deyna. Tout d’abord, avoir un grade militaire impose le respect dans une Pologne combattante et patriote (peu importe les conditions que peu de gens connaissent). Un grade qui évoluera après la troisième place à la Coupe du Monde de 1974. L’état polonais, en guise de promotion, lui attribuera une affectation fictive dans la Marine, à Gdynia, pour que Deyna obtienne à son tour le grade de Lieutenant pour services rendus à la nation. Mais ce service militaire est à double tranchant pour sa carrière de footballeur, car l’OTAN refuse catégoriquement qu’un soldat venu du bloc de l’Est voyage à l’Ouest. Impensable pour une époque en pleine guerre froide. Alors quand Kazimierz voudra quitter le Legia Warszawa en 1978, il lui faudra s’armer de patience et de courage pour que l’administration anglaise accepte et valide enfin son arrivée à Manchester.

Le jeu, toujours le jeu

C’est en partie grâce à ce jeune Deyna, enfant de Poméranie, sergent puis lieutenant de l’armée polonaise, que le Legia Warszawa commence à retrouver le gout des victoires et des titres alors que durant cette période des années 60-70 ces derniers sont majoritairement remportés par l’insubmersible Gornik Zabrze.

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Deyna est un joueur hors norme, un bon vivant qui aime jouer autant sur une pelouse qu’avec les filles de Varsovie. C’est encore un jeune homme lorsqu’il arrive à Varsovie, il n’a que 20 ans et découvre les plaisirs d’une grande ville, qu’ils soient sur ou en dehors du terrain. Deyna, c’est une silhouette, une gueule, une coupe si particulière (mi-Beatles, mi-Playmobil à rouflaquettes), un corps athlétique et fin, des jambes qui ne s’arrêtent pas lui permettant de faire vivre la balle comme personne. Deyna, c’est un meneur de jeu comme la Pologne n’en avait jamais vu et n’en verra peut-être plus jamais. Un joueur doté d’une finesse du toucher, d’une intelligence de la passe et de l’agilité du chat. Deyna est un élégant, un joueur que l’on admire et que l’on adule, un diamant pur comme l’écrira le Corriere della Serra après un match de la Pologne en Coupe du Monde :

« Le match à Munich fut une symphonie polonaise, vingt-deux pieds, onze chapitres et un ensemble. Une équipe entourant une pierre précieuse nommée Kazimierz Deyna. »

Kazimierz Deyna, avec le Legia, c’est l’histoire d’une éclosion, d’une délivrance pour le club de la capitale. Un club qui cherchait depuis si longtemps une figure de proue, un Generał, pour reconquérir enfin le titre de champion de Pologne.

Ce Generał débute avec les Legionisci le 20 novembre 1966 contre le Ruch Chorzów et marque son premier but contre Katowice, en 1997, année qui le voit rentrer dans la cour des grands, une nouvelle fois à Chorzów, en portant pour la première fois le maillot de la sélection polonaise. Pour cette première saison sous les couleurs du Legia, le joueur joue treize matchs pour sept buts, lui permettant de se faire une place de titulaire indiscutable. Déjà.

Il joue, s’amuse, sourit comme un gamin après un dribble, un but ou une victoire. Sa palette de jeu est immense, tantôt métronome, tantôt buteur, partant parfois dans des chevauchées walkyriennes au milieu du terrain, préférant parfois temporiser sagement avec maturité. Sa technique n’a d’égale que son talent et Kasiu régale la Pologne et l’Europe de sa grâce dès ses premières années.

Avec ce joueur hors norme, le Legia reconquit le titre de champion en 1969 et l’air de l’âge d’or du football polonais peut commencer. Cet âge d’or et les belles années de Deyna au Legia lui permettent de faire vivre une partie de sa famille restée à Starogard GdańskiIl prend d’ailleurs un grand plaisir, du fait de sa gloire, à retourner en Poméranie, visiter les siens et partir dans le petit bois attenant à la maison de ses parents cueillir quelques baies en leur compagnie pour finir le dessert encore en préparation dans la petite cuisine.

Deyna est le Legia. Deyna est l’une des incarnations les plus réelles des valeurs fondatrices du club, il est le lien entre sa genèse et le présent. Jeune joueur brillant au physique d’athlète, artiste parfois excessif, combattant sur le terrain miné par les tacles assassins, il a le talent et la grandeur des meilleurs stratèges militaires et l’humilité parfois déroutante des génies.

Nie rusz Kazika, bo zginiesz!

https://www.youtube.com/watch?v=mOn7bOhDVt8

Mathieu Pecquenard


Image à la une : © Legia.com

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