A l’époque où les matchs amicaux de prestige s’accumulaient entre les meilleures équipes du continent, les Wolverhampton Wanderers sont surnommés « Champions du monde » par le Daily Mail après leur victoire contre Honvéd, à Molineux, en décembre 1954. Le journal L’Equipe proteste : « Avant de les déclarer invincible, laissons les aller à Moscou et Budapest ». L’idée d’une Coupe des clubs européenne est née et verra le jour neuf mois plus tard, en septembre 1955. Le match Honvéd vs. Wolves prend également une importance particulière suite aux deux roustes prises par les Anglais contre la Hongrie l’année précédente.


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La revanche anglaise sur des Mighty Magyars

« Non, Wolverhampton n’est pas encore le « champion du monde des clubs » ! », c’est par ces mots que Gabriel Hanot titrait son article, en décembre 1953, en réponse à celui du Daily Mail qui venait d’élire Wolverhampton « Champions of the world » après leur victoire contre le Spartak Moscou (4-0) et Honvéd (3-2). Il n’imaginait sans doute pas jusqu’où irait son idée, détaillée dans ledit article, de créer un championnat d’Europe des clubs. La Coupe d’Europe des Clubs Champions va bientôt voir le jour.

Aranycsapat, le Onze d’Or, 1953 | © Wikipedia

Si Wolverhampton est affublé de ce titre de champion du monde, c’est en partie parce que ça réconforte une Angleterre qui a récemment remarqué qu’elle n’est pas la championne du sport qu’elle a créée. D’abord au Brésil, en 1950, pour sa première participation à la Coupe du Monde, l’Angleterre perd contre l’Espagne mais subit surtout l’affront d’une défaite face aux Etats-Unis (1-0), se voyant ainsi éliminée dès le premier tour. Une énorme désillusion, à laquelle s’ajoute l’humiliation que l’équipe nationale hongroise va leur infliger lors du désormais mythique Angleterre – Hongrie du 25 novembre 1953 à Wembley. Victoire 3-6 de la bande à Puskas, dans ce qui est alors « probablement la plus belle démonstration de jeu offensif qui a été vue dans un match international en Grande-Bretagne » selon le Guardian, et accessoirement la première défaite de l’équipe nationale anglaise à Wembley. Une prestation confirmée quelques mois plus tard à Budapest avec une victoire 7-1 des Hongrois contre l’Angleterre.

Se profile alors la Coupe du Monde 1954 où la Hongrie fait figure de grande favorite et répond à son rang en écrasant tout le monde sur son passage : Corée du Sud (9-0), Allemagne de l’Ouest (8-3), Brésil (4-2) puis Uruguay (4-2 a.p.). C’est peu dire que le Budapest Honvéd forme la colonne vertébrale de ce onze d’or hongrois (Aranycsapat) qui, à la veille de la finale contre l’Allemagne de l’Ouest, le 4 juillet 1954, en est à 29 matchs sans défaite depuis le 14 mai 1950. Dans le 4-2-4 légendaire de Gusztáv Sebes, on retrouve Grosics au goal, Lorant en défense, Bozsik en demi, Budai et Cszibor (auteur de trois buts lors du tournoi) sur les ailes et un duo d’attaque Ferenc Puskas (4 buts) – Sandor Kocsis (11 buts) qui faisait frémir les défenses adverses, à raison. Alors que le titre mondial leur tendait les bras, le « Miracle de Berne » va se produire et sur un terrain détrempé, Puskas et Czibor donnent un avantage aux leurs après 8 petites minutes mais Morlock réduit l’écart avant qu’Helmut Rahn ne guide l’Allemagne de l’Ouest de Sepp Herberger vers une Coupe du Monde inespérée. La Hongrie perd le seul match qu’il ne fallait pas perdre, et l’histoire de s’écrire à l’indélébile ce jour-là. Le Onze d’Or aura fait rêver toute une génération et révolutionné le jeu sans avoir accroché un titre majeur à son palmarès.

Les « floodlit friendlies » accueillent Honvéd

A Budapest, cette défaite passe amèrement. Jonathan Wilson l’évoque dans Behind the Curtain : « ‘La réaction en Hongrie était terrible’ disait Grosics. ‘Des centaines de milliers de gens se sont précipités dans les rues dans les heures qui ont suivi la fin du match. Sous le prétexte du football, ils manifestaient ouvertement contre le régime. L’ambiance était tellement amère qu’on pouvait encore la ressentir des mois après. Je crois que ces manifestations ont semé les graines de l’insurrection de 1956.’ »

Pour les joueurs du Honvéd, le retour à la réalité du football hongrois, où ils sont en concurrence avec le Vörös Lobogó (l’ancêtre du MTK) en championnat, ne les perturbe pas tant que ça puisqu’ils reprennent leur couronne en 1954, la quatrième pour le club de l’armée. A l’automne et en hiver, une tournée européenne de matchs amicaux est donc programmée, avec en point d’orgue cette rencontre 4 décembre 1954 qui les voit se déplacer à Wolverhampton.

Un an après le « match du siècle », nous voici donc dans les West Midlands, un beau soir de décembre, au stade Molineux qui accueille le Budapest Honvéd dans ce qui s’apparente à une série de matchs amicaux nocturnes destinés à profiter à plein des nouveaux éclairages installés par le club, une nouveauté à l’époque. Les Hongrois entrent dans sur un terrain où le Celtic, un XI sud-africain, le grand Racing Club Avellaneda, Maccabi Tel Aviv et le Spartak Moscou sont tombés avant eux. Billy Wright, capitaine lors 3-6 légendaire, retrouve un Puskas qui l’a enrhumé ce soir-là, ainsi que cinq autres des Mighty Magyars. L’attaquant des Wolves, Roy Swinourne l’avouera par après : « Les Wolves n’ont jamais joué un match dans lequel tant de fierté était en jeu. »

© Colorsport/REX / theguardian

A l’époque, les deux clubs sont champions de leurs pays respectifs, mais là où les Wolves restent sur une impressionnante série d’invincibilité face aux adversaires continentaux, Honvéd s’inclinait au Partizan (3-2) un mois plus tôt après avoir battu West Bromwich Albion (3-5) à Bruxelles en octobre. Il s’agit d’un match pour la suprématie mondiale sur le jeu. « Les Wolves étaient une métaphore pour l’Angleterre, et Honvéd pour la Hongrie et probablement pour le reste du monde » indique Roger Domeneghetti dans From The Back Page To The Front Room : Football’s Journey Through The English.

Fait rare, la BBC s’autorise à diffuser la seconde mi-temps en direct, privilège qui d’habitude n’était promis qu’à la finale de la FA Cup. Mais lors des 45 premières minutes, Honvéd mène rapidement 0-2 par le biais de Sandor Kocsis et Ferenc Machos, avant que le coach local Stan Cullis demande à son staff d’arroser une pelouse déjà bien trempée par quatre jours de pluie consécutifs. « Je n’ai pas de doutes là-dessus… si Cullis ne nous avait pas demandé à moi et mes gars d’arroser le terrain, Honvéd aurait gagné 10-0 » racontait Ron Atkinson, alors gamin au club. Le fait est que Hancocks, sur un penalty très léger si pas inexistant, permet aux Wolves d’égaliser. Geoffrey Green écrivait dans The Times : « Petit à petit les Wolves commençaient à resserrer les vis. Ils semblaient se dédoubler en nombre et déferler de partout. Le terrain, de plus en plus malmené, ressemblait à de la colle épaisse. Et la foule de Molineux poussait, se démenait et hurlait comme un ouragan en mer, et demandait la mise à mort. »  Elle viendra via Swinbourne qui, par un doublé en deux minutes, donne finalement la victoire aux Wolves par 3 buts à 2, sur un terrain qui ressemblait davantage à un parcours de moto-cross au coup de sifflet final. Pour le Daily Mirror, Peter Wilson exulte : « Je ne verrai peut-être jamais de ma vie un meilleur thriller que celui-ci. Et de toute façon, si j’en vois bien d’autres encore aussi excitants, je ne vivrais peut-être plus pour très longtemps. »

« Hail Wolves, Champions of the World! »

C’est au Daily Mail que revient la palme du titre-choc qui restera dans l’histoire. « Chapeau les Wolves, Champions du Monde ! » apparaissait donc sur la Une du journal britannique, qui comme les autres tirages de l’île devenaient dithyrambiques quant à la suprématie retrouvée de leur football. « Cette victoire, avec celle contre le Spartak, fut considérée par la presse anglaise comme un signe que malgré la double correction infligée par l’équipe nationale hongroise, l’Angleterre dominait encore le jeu » explique Nick Miller pour le Guardian.

Mais des voix discordantes se font entendre sur le Vieux Continent. A commencer par Willy Meisl, le frère d’Hugo, qui indique qu’Honvéd avait déjà perdu au Partizan sans qu’on affuble le club yougoslave du même tire de « Champion du Monde », avant de souligner les conditions discutables dans lesquelles s’est déroulée la rencontre : « Oserais-je aussi remarquer en passant que des bourbiers ne sont pas habituellement considérés comme les terrains idéaux sur lesquels les championnats du monde devraient se jouer, même pas des bourbiers neutres. »

En France, c’est Gabriel Hanot,  ancien joueur et sélectionneur de l’Equipe de France et désormais journaliste sportif à l’Equipe, qui réagit aux propos du Daily Mail en mettant sur la table une idée folle d’organiser un vrai tournoi international de clubs. Dans sa chronique du match, énoncée par téléphone et publiée le 15 décembre 1954, il souligne l’énorme engouement que suscite le football et ce match en particulier dans une cité industrielle qui compte 130.000 habitants : « Les Wolves parurent si pénétrés de leur mission sociale et humanitaire que leurs extraordinaires « engagements » en nocturne, sous un éclairage bien supérieur à tout ce qui existe en France sur les stades, ne pouvaient pas ne pas déchaîner l’enthousiasme des 55.000 spectateurs arrachés à leur ambiance terrestre. Il aurait fallu être un partisan fanatique de Honvéd pour demeurer indifférent à la communion sportive de la foule ».

© wolvesheroes.com

Sous son paragraphe « Ne pas s’emballer », Hanot explique : « De là à écrire, comme le Daily Mail, que « Wolverhampton est le champion du monde des clubs », il y a un grand pas à franchir et nous ne nous sentons pas capables d’une telle enjambée. Car, après tout, Wolverhampton a battu Spartak (4-0) et Honvéd (3-2) chez lui, exactement au summum de sa saison (21 matchs joués sur 42) ; il ne s’est pas encore rendu sur les terrains adverses, ni même pour une confrontation sur un terrain neutre. Il ne faut pas lui briser l’encensoir sur le nez : ses prouesses sont admirables et elles se suffisent à elles-mêmes. (…) Mais attendons pour proclamer l’invincibilité de Wolverhampton qu’il soit allé à Moscou et à Budapest. Ce ne sera pas pour cette saison. Et puis il y a d’autres clubs de valeur internationale. Milan et le Real Madrid pour ne citer que ceux-là. L’idée d’un Championnat du monde, ou tout au moins d’Europe des clubs, plus vaste, plus expressif, moins épisodique que la route de l’Europe Centrale (la Coupe Mitropa, ndlr), et plus original qu’un Championnat d’Europe des équipes nationales, mériterait d’être lancée. Nous nous y hasardons. »

Cela fait écho avec ce que Desmond Hackett expliquait le jour du match, dans le Daily Express : « Combien de temps encore ces équipes glamour vont continuer à attirer les foules pour des matchs sans enjeu ? A l’âge de l’avion, il paraît davantage sensé et captivant d’organiser une saison de Coupe d’Europe sous les projecteurs (…). Mettons les champions de chaque nation dans un chapeau pour une rapide compétition à élimination directe. Cela devrait être un best seller du football : Wolves, Celtic, Honvéd, Dynamo, FC Austria, Milan, Kaiserslautern, Racing Club de Paris et tant d’autres ».

Là où Hanot va plus loin que Meisl et Hackett, c’est qu’il travaille sur cette idée avec ses collègues et va même contacter la FIFA puis la toute nouvelle UEFA pour discuter du projet, quelques semaines plus tard. Jacques Ferran, son comparse d’alors, raconte pour le site de l’uefa : « Tout le monde adhérait à cette idée. La réaction du Real Madrid a été la plus positive et son président Santiago Bernabéu nous a écrit immédiatement pour nous confirmer son soutien. (Le RSC) Anderlecht ne voulait pas d’une formule de championnat. Ils ont suggéré qu’un tournoi à élimination directe serait préférable dans la mesure où l’on pouvait jouer en milieu de semaine, sans interférer avec les championnats nationaux. »

Une liste de 16 clubs, choisis par les organisateurs et donc pas forcément champions nationaux, est soumise pour organiser la première édition. Plus encline à organiser un tournoi entre nations, l’UEFA hésite à soutenir l’idée. Face au soutien dont bénéficie le projet soumis par l’Equipe (en avril 1955, les représentants des clubs acceptent à l’unanimité le règlement qui leur est proposé) et le risque de voir celui-ci prendre en charge la tenue de l’événement, elle décide de réagir et contacte la FIFA. Le 8 mai 1955, l’instance mondiale tranche : « le Comité exécutif de celle-ci autorisait la tenue de cette nouvelle compétition de clubs à la condition qu’elle soit régie par l’UEFA et que les associations nationales concernées autorisent leurs clubs à y prendre part. » Le Comité exécutif de l’UEFA se réunit le mois suivant et entérine ces demandes : « En premier lieu, il est reconnu que cette compétition sera en effet organisée par l’UEFA elle-même » évoque le compte-rendu de la réunion. Enfin, le 4 septembre 1955, à Lisbonne, le Sporting concède un match nul 3-3 face au Partizan, pour ce qui est entré dans l’histoire comme le premier match de la toute nouvelle Coupe des Clubs champions. Pile 9 mois après Wolves – Honvéd.

Honvéd se meurt, vive la Coupe des Clubs champions !

Les Wolves gagneront deux autres titres de champions, en 1957-58 et en 1958-59, qui leur ouvriront les portes de la toute nouvelle compétition, alors dominée par le Real Madrid. Ils se sont fait éliminés par Schalke 04 au premier tour lors de leur toute première participation, tandis que lors de l’édition suivante, ils arrivent en quarts de finale où le FC Barcelone de Kubala et Kocsis les écrasent sèchement, 4-0 au Camp Nou, et surtout 2-5 à Molineux avec un quadruplé de l’attaquant hongrois, en signe de revanche suite au match de décembre 54. Cette défaite est par ailleurs la seule subie à domicile par les Wolves durant leur série de 23 matchs internationaux nocturnes, les « floodlight matches », qui s’est déroulée de 1953 jusqu’à 1962. Le dernier match ayant vu la réception du… Budapest Honvéd alors que les deux équipes ne jouaient plus les premiers rôles en Europe voire dans leurs championnats.

Quant au club hongrois, il n’a pas participé à la première édition de la compétition, remplacé alors par le  Vörös Lobogo qui atteindra les quarts de finale, éliminé par le futur finaliste, le Stade de Reims. De nouveau champion de Hongrie en 1955, le Honvéd accepte cependant de participer à la seconde et tire l’Athletic Bilbao au premier tour. Ce déplacement au Pays basque, en octobre 1956, changera à jamais le cours de l’histoire du club et de certaines de ses légendes.

Au faîte de sa gloire, le Budapest Honvéd est l’un des protagonistes ayant poussé à la création de la C1, une compétition qui va permettre aux Puskas, Kocsis, Czibor de se trouver en Europe de l’Ouest un soir d’octobre 1956. L’équipe, en revanche, est éliminée et coulée pour de bon. La Coupe d’Europe des Clubs Champions est née sans que le Honvéd, désormais à l’agonie, n’ait eu réellement la chance d’y participer.

Thomas Ghislain


Image à la une : © Daily Mirror

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