S’il existe bien un point commun entre tous les pays Footballski, c’est la place plus que limitée qu’ils réservent au football féminin. Les sélections de l’Est ont longtemps été les grandes absentes des rendez-vous internationaux. Il a fallu, par exemple, attendre 1990 pour que l’URSS se dote d’une sélection féminine. Cette année-là, le vent du changement avait dû réserver une ou deux brises revigorantes au bureau de la fédération chargée des sections féminines, puisqu’un championnat d’URSS avait été créé dans la foulée.

Depuis le sacre des Ukrainiennes de Barychivka à l’issue de la première saison régulière en 1990, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Malgré la situation économique catastrophique en Russie dans les années 90, un championnat national a réussi à voir le jour et à se maintenir en vie tant bien que mal. A la fin des années 2000, alors même que leurs homologues masculins décrochaient leurs premiers trophées européens, les clubs féminins faisaient bonne figure en Ligue des champions, le Zvezda-2005 Perm parvenant même en finale en 2009 (perdue contre le MSV Duisbourg).

L’embellie n’a hélas pas duré bien longtemps : les équipes russes ont été durement frappées par les conséquences de la crise de 2008 et par les incessants changements de formules imposés par la fédération. Après être passée au système automne-printemps en 2011-2012 en même temps que les hommes, la Première Ligue féminine a ré-adopté le système printemps-automne dès 2013… Le championnat 2015 s’est donc déroulé d’avril à novembre, avec six équipes professionnelles engagées, chaque club jouant quatre matchs contre ses adversaires.

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Les six clubs engagés | ru.wikipedia.org

Le déroulement de la saison par clubs

Tchertanovo

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Tchernomyrdyna (Tchertanovo) à la lutte | © rfs.ru

Bon dernier de cette édition 2015, le club du quartier sud de Moscou s’est bâti une solide réputation de club formateur chez les hommes comme chez les femmes. Les Bleues ont repris le flambeau d’Izmaïlovo, un autre quartier de Moscou qui s’est retiré des compétitions professionnelles en 2013. Cette saison les voit effectuer leurs premiers pas en Première Ligue avec un effectif très jeune (à peine 20 ans de moyenne d’âge). Elles peuvent néanmoins compter sur l’expérience de Ioulia Gordeïeva, défenseuse internationale aguerrie passée par Izmaïlovo.

Hélas, la jeunesse de Moscou n’a pas fait de miracle. 56 buts encaissés en 20 journées, on a connu baptême du feu plus paisible… Le rouleau-compresseur Zvezda 2005 leur en a passé 19 en 4 matchs à lui seul. Il a fallu attendre la 11e journée pour que Tchertanovo prenne son premier point, contre Koubanotchka, et la 17e pour la première victoire contre Riazan. C’est sans doute le seul point positif à retenir de cette saison : la jeune équipe entraînée par Andreï Rzianine, malgré ses résultats catastrophiques, a semblé progresser tout au long de la saison.

Koubanotchka (Krasnodar)

Koubanotchka, contrairement à ce que son nom et ses couleurs semblent indiquer, n’est pas la section féminine du Kuban Krasnodar. Les filles de la région ont créé leur structure de leur côté dès 1988 et ont participé au premier championnat de Fédération de Russie en 1992. Malheureusement, deux faillites successives les ont éloignées de l’élite pendant quelques années. Depuis 2007, c’est Tatiana Zaïtseva, cinq fois championne de Russie, qui a pris les rênes de l’équipe. Ses joueuses ont encore un peu de mal à rivaliser avec les leaders du championnat, malgré la présence dans l’effectif de la gardienne internationale Ioulia Gritchenko et d’une colonie brésilienne importante. La jeunesse n’est pas en reste avec Ekaterina Tyrychkina, une défenseuse de 19 ans qui a déjà été appelée en sélection.

La Brésilienne Danielli Pereira contre le Zorki Krasnogorsk (fckubanotchka.ru)
La Brésilienne Danielli Pereira contre le Zorki Krasnogorsk | © fckubanotchka.ru

Malgré une victoire éclatante à la 5e journée contre les favoris du Zvezda-2005 Perm, les joueuses de Krasnodar n’ont jamais réussi à se sortir du ventre-mou. Elles ont perdu beaucoup de points contre leurs adversaires directs, Zorki et Riazan : 8 points pris sur 24 possibles. Un parcours médiocre en championnat compensé par de belles performances en coupe : les Jaune et Vert ont réussi à se débarasser d’Azov puis de Riazan avant d’affronter l’ogre Zvezda-2005 en finale. Un match engagé, qui s’est conclu par un petit 1-0 pour Perm. C’est la deuxième défaite consécutive en finale pour Koubanotchka, qui avait déjà été privé de trophée par Riazan en 2014.

Riazan VDV

Le club des parachutistes de l’armée est un historique du championnat, avec deux titres glanés en 1999 et 2000. Après plus de dix ans passés au creux de la vague, il a effectué son grand retour au sommet avec un nouveau titre de champion en 2013 et une coupe de Russie en 2014. La saison 2015 peut être celle de la confirmation pour les filles de Riazan, emmenées par leur capitaine courage Ksenia Tsyboutovitch, qui porte également le brassard en sélection. A noter que le club s’est appelé « Marseille » à sa création, du nom de l’entreprise de BTP de Vladimir Sapounov, son fondateur.

Riazan VDV fête son but contre Zorki (rfs.ru)
Riazan VDV fête son but contre Zorki | © rfs.ru

Avec une série de sept matchs sans défaite entre la 3e et la 9e journée, Riazan semblait bien placé à la trêve estivale pour jouer les trouble-fête dans la course à la Ligue des champions. Les protégées de Dimitri Ossokine ont malheureusement trébuché dans le sprint final, avec 1 petit point pris en cinq matchs. Une dégringolade spectaculaire qui ne leur a même pas permis de profiter du retrait de Zorki trois journées avant la fin pour accrocher la 3e place.

Zorki (Krasnogorsk)

Le club de la région de Moscou, malgré ses trois petites années d’existence professionnelle, a déjà réussi à remporter un titre de champion de Russie en 2012-2013. Comme leurs voisins de Rossïanka, les banlieusardes peuvent compter sur des joueuses internationales expérimentées comme Elena Medved, Elena Morozova et Ekaterina Sotchneva. Ces deux dernières, redoutables devant le but, sont le cauchemar de toutes les défenses de Première Ligue.

Le Zorki Krasnogorsk a joué son dernier match contre l’Atlético en Ligue des champions (zhfk-zorki.rf)
Le Zorki Krasnogorsk a joué son dernier match contre l’Atlético en Ligue des champions | © zhfk-zorki.rf

Malgré un début de saison un peu poussif, Zorki s’est vite repris après la trêve, en alignant cinq victoires consécutives, dont deux succès contre les favoris Rossïanka et Zvezda-2005. Un élan brisé net par un fait divers tout droit sorti des années 90. Le principal soutien du club dans l’administration locale, Youri Karaoulov, a été assassiné par balles dans son bureau le 19 octobre dernier pour un motif qui reste encore à éclaircir. Son décès a frappé très durement le club, qui a été retiré de la compétition du jour au lendemain, avec trois journées de championnat encore à jouer. Le ministre des Sports et président de la Fédération de football Vitali Moutko a confirmé aux journalistes que le club avait été dissous.

Rossïanka (région de Moscou)

Le troisième et dernier club de la région de Moscou, fondé en 2003, s’est rapidement imposé comme une force majeure du championnat en remportant sa première médaille d’or en 2005. Trois autres titres ont suivi en 2006, 2010 et 2011-2012, mais le club peine à retrouver les sommets depuis le double changement de formule du championnat. L’effectif est néanmoins très solide, avec des internationales russes à toutes les lignes : Dmitrenko et Kojnikova en défense, Blynskaïa et Ziastinova au milieu, ainsi que Tcholoviaga en attaque. Le secteur offensif de Rossianka peut également compter sur la jeune buteuse ivoirienne Inès N’Rehy.

Elvira Todoua (Rossianka), la gardienne titulaire de la sélection russe (rfs.ru)
Elvira Todoua (Rossianka), la gardienne titulaire de la sélection russe | © rfs.ru

Après une saison 2014 ratée, les joueuses de Rossianka avaient à cœur de se ressaisir. Une ambition peu suivie d’effets jusqu’à la trêve, puisque les Moscovites laissaient filer Perm et Riazan en tête du championnat. Ce n’est qu’au mois d’août que les filles d’Elena Fomina se sont ressaisies, avec à la clef une deuxième partie de saison sur les chapeaux de roue : 9 victoires en 11 matchs. Suffisant pour accrocher la seconde place qualificative pour la Ligue des champions, mais pas pour reprendre le titre à Zvezda-2005. A noter qu’à la manière de Leonid Sloutski chez les hommes, Elena Fomina cumule son poste d’entraîneuse à Rossianka avec celui de sélectionneuse nationale depuis le mois d’octobre.

Zvezda-2005 (Perm)

Depuis la descente aux enfers de l’Energia Voronej, Zvezda-2005 Perm est le club le plus titré encore en activité en province. Avec quatre médailles d’or et trois coupes de Russie, les tenantes du titres font figure de favorites au début de la saison 2015. Le club bénéficie en effet d’un soutien important de l’administration régionale et des entreprises locales. L’effectif rassemble des joueuses de toute l’ex-URSS, notamment les deux attaquantes ukrainiennes Daria Anapachtchenko et Olga Boïtchenko.

En 2015, la régularité des joueuses de Perm a une fois de plus été récompensée. Riazan a sans doute fait un meilleur début de saison, Rossianka a mené son sprint final tambour battant, mais seul Zvezda-2005 a eu les épaules assez larges pour tenir le rythme pendant 8 mois. L’équipe a fait preuve de caractère, notamment en arrachant le nul dans un match dantesque contre Riazan (3-3) à l’avant-dernière journée, ce qu’il leur a permis de maintenir Rossïanka à distance. Un titre de champion doublé d’une coupe de Russie, remportée aux dépens de Koubanotchka le 10 septembre dernier. Seule ombre au tableau : le parcours en Ligue des champions, qui s’est arrêté en huitièmes de finale suite à une défaite contre la section féminine du Slavia Prague. Après son parcours héroïque de 2009, Zvezda-2005 est toujours à la recherche d’un second souffle sur la scène européenne.

Bilan de la saison

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Meilleure buteuse : Daria Apanachtchenko, Zvezda 2005, 13 buts

Champion de Première Division : Dontchanka Azov

Voir ce championnat professionnel de football féminin assurer sa survie année après année est un miracle permanent qui doit plus au dévouement de ses acteurs qu’un investissement réel de la fédération. L’incroyable imbroglio autour du Zorki Krasnogorsk a prouvé une fois de plus que l’existence de ces clubs n’allait pas de soi, et que le moindre bouleversement dans l’administration locale pouvait remettre en cause des années de travail. Bien entendu, cette dépendance vis-à-vis des structures étatiques est partagée par l’ensemble du football russe, mais elle se fait particulièrement ressentir dans un championnat où les sponsors se font rares.

À l’heure où le football féminin décolle dans toute l’Europe de l’Ouest, et plus seulement en Allemagne ou dans les pays scandinaves, le championnat russe souffre d’un cruel manque de moyen. Le vivier de joueuses reste malgré tout très intéressant, avec des clubs qui ont fait leur preuve en Ligue des champions. Les faillites chroniques n’arrangent rien : quand des clubs comme l’Energia Voronej ou Izmaïlovo disparaissent, c’est tout le tissu local de formation qui est à reconstruire. Tout n’est pas noir non plus : il reste des places fortes du football féminin en province (Perm, Riazan) et la jeunesse de la région de Moscou montrent déjà de belles choses. Malgré la crise économique et le manque de soutien des instances, le championnat de football féminin poursuit son petit bonhomme de chemin, et en définitive, il n’aurait besoin que d’un peu plus de soutien populaire pour se faire une petite place dans le monde du sport russe.

Adrien Morvan


Image à la une : Zvezda-2005 champion de russie et vainqueur de la coupe en 2015 | © zvezda2005.ru

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