Le 25 mars 1992, l’équipe nationale de Yougoslavie se déplace à Amsterdam pour y défier celle des Pays-Bas, championne d’Europe en titre. Une rencontre aux allures de dernier test pour les deux équipes avant l’entame, moins de deux mois plus tard, de la préparation à l’Euro 92, qui débute le 10 juin. Mais battus (2-0) par des Oranje futurs demi-finalistes de l’épreuve, les Plavi disputent en fait leur dernier match avant décembre 1994 !

Proches du sans-faute (sept victoires pour un seul revers) lors des éliminatoires, qu’ils ont terminé auréolés du titre de meilleure attaque avec 24 buts inscrits en huit matchs, les hommes d’Ivan Osim ont pourtant composté sans trop d’encombres leur billet pour la Suède. Mais ni Ivan Osim, ni ses joueurs ne seront du voyage en terres nordiques. Fin mai, à la suite du bombardement de Sarajevo par l’armée serbe, le sélectionneur yougoslave remet sa démission à sa fédération. Quelques jours plus tard, le 30 mai 1992, le Conseil de Sécurité des Nations Unies vote la résolution 757. Conséquence de la guerre qui sévit en Yougoslavie, elle est synonyme d’embargo contre le pays et d’interdiction pour celui-ci de prendre part à toute compétition sportive. Dix jours avant l’ouverture de l’Euro, l’équipe nationale est donc officiellement exclue du tournoi, abandonnant là ses derniers espoirs de sacre continental, nés d’un Mondial 90 remarqué, achevé aux portes des demi-finales face à l’Argentine de Diego Maradona, de la victoire de l’Etoile Rouge de Belgrade en Coupe d’Europe des clubs champions la saison précédente et, donc, d’une campagne qualificative quasi parfaite.

Poser les nouvelles fondations

Le rêve s’était sans doute déjà envolé un an plus tôt, en juin 1991, au moment où la Slovénie et surtout la Croatie proclamaient leur indépendance, privant du même coup la sélection yougoslave de leurs talents. Parmi eux, Robert Prosinecki, Zvonimir Boban, Davor Suker et Igor Stimac, principaux artisans du triomphe yougoslave au Mondial 87 des moins de 20 ans et futurs acteurs majeurs du superbe parcours croate lors de la Coupe du Monde 98 en France. Amoindrie, la Yougoslavie boucle tout de même les éliminatoires sur deux succès face aux Iles Féroé (2-0) et l’Autriche (3-1), fin 1991. Mais ces victoires tiennent plus à la légèreté des adversaires qu’à la supériorité de la sélection d’Ivan Osim qui, en Suède (4-3) et au Brésil (2-0), essuie d’ailleurs dans le même temps ses deux premiers revers depuis la claque infligée par la RFA (1-4) lors de l’entrée en lice dans la Coupe du Monde 90. L’exclusion de la Yougoslavie entraînera le repêchage du Danemark, deuxième de son groupe de qualifications et couronné à la surprise générale quelques semaines plus tard, pour ce qui reste aujourd’hui encore comme l’un des plus gros braquages de l’histoire du foot européen. L’exploit restera sans véritable lendemain pour les hilares danois. Mais pour les Plavi, la mise au ban ne fait que commencer. Malgré la fondation en 1992 de la République Fédérale de Yougoslavie (qui comprend la Serbie, le Monténégro et le Kosovo) et sa reconnaissance officielle par les instances sportives, il faut en effet attendre deux ans et demi pour revoir une sélection yougoslave fouler une pelouse, en l’occurrence celle de Porto Alegre, le 23 décembre 1994.

Pour sa première sortie, le groupe bâti par Slobodan Santrac sur les ruines de la brillante génération précédente s’incline face au Brésil (2-0), sacré champion du Monde au terme d’un tournoi estival duquel la Yougoslavie était de nouveau exclue, par la FIFA et dès le tirage au sort des éliminatoires cette fois. Quatre jours plus tard, la route des néophytes yougoslaves s’arrête en Argentine, pour un voyage qui se solde par un nouveau revers contre l’Albiceleste (1-0). Malgré les défaites, Santrac pose lors de ces rencontres amicales les fondations de l’équipe appelée à défendre de nouveau les couleurs yougoslaves en match officiel, dans un peu moins de deux ans. Car l’Angleterre, pas plus que les Etats-Unis ou la Suède, n’accueillera pas les Plavi à l’été 96. La campagne qualificative au championnat d’Europe des Nations a en effet débuté en septembre… sans la Yougoslavie, qui devra se contenter, pour son retour sur les terrains, de presque deux ans de matchs amicaux. Le sélectionneur va profiter de cette traversée du désert pour bâtir, sans pression, une formation amenée, à terme, à rivaliser avec les meilleures nations européennes. Pour sa première à la tête de l’équipe, dix des 17 joueurs utilisés par Santrac honorent leur première sélection. C’est simple : avant la rencontre face au Brésil, seuls Dejan Savicevic et Dragan « Piksi » Stojkovic ont fait plus de 10 apparitions sous le maillot national (respectivement 27 et 41). Contre les champions du Monde, Predrag Mijatovic atteint lui la barre honorifique des 10 sélections. Vladimir Jugovic et Sinisa Mihajlovic disputent eux leur cinquième match en bleu. Tous deviendront, au fil des années, des éléments incontournables de la sélection. Car si le renouvellement de l’effectif opéré par Santrac est contraint par les événements, le nouveau sélectionneur aura le mérite de maintenir, en dépit de la situation du pays, la stabilité au sein de son groupe. Lequel embarque, début 1995, pour l’Asie et Hong-Kong, point de départ d’une nouvelle année de purgatoire, la quatrième consécutive pour l’équipe nationale.

Dragan Stojkovic
Dragan Stojković | © Marc Francotte / TempSport / Corbis

Avec Stojkovic, Savicevic, Mijatovic, Mihajlovic et Jugovic, donc, mais aussi Savo Milosevic et Darko Kovacevic, futurs artificiers de la sélection, la Yougoslavie dispute à Hong-Kong deux matchs amicaux sans saveur, qui ne disent pas grand-chose de son potentiel. D’abord face à l’équipe nationale locale, remporté (3-1) grâce aux deux premiers buts de Milosevic en sélection, et au premier sous la tunique bleue d’Albert Nadj, futur éphémère et anonyme joueur de l’Olympique de Marseille. Quelques jours plus tard, c’est au tour de Kovacevic de débloquer son compteur, pour un succès (1-0) sur… les espoirs sud-coréens. En dépit des faibles oppositions proposées, cette mini-tournée asiatique permet au moins aux joueurs de gagner en expérience individuelle et collective, et à Santrac d’entrevoir une ébauche d’équipe-type. En mars, face à un Uruguay emmené par Enzo Francescoli et qui s’apprête à accueillir – et à remporter – la Copa America, la jeune sélection yougoslave passe pour la première fois au révélateur. Devant 28 000 spectateurs, un nouveau but de Milosevic fait exploser Belgrade et offre aux Plavi le premier véritable succès de leur jeune histoire. Conquise avec une équipe exclusivement composée de joueurs évoluant au pays, cette victoire laisse entrevoir des lendemains qui chantent pour la sélection, dont de nombreux représentants jouent à l’étranger, en Espagne (Mijatovic à Valence, Djukic à La Corogne, Brnovic à l’Espanyol, Jokanovic à Oviedo), en Italie (Savicevic au Milan AC, Jugovic à la Sampdoria, Mihajlovic à la Roma), en Allemagne (Komljenovic à Francfort), au Portugal (Vujacic au Sporting) et même au Japon (Stojkovic à Nagoya). En mai, les hommes de Slobodan Santrac n’enchaînent pas contre la Russie (1-2), mais ce revers, le seul subi en 1995, précède une probante série de trois succès consécutifs à la rentrée suivante.

Un retour pour s’affirmer…

Durant l’été, l’exode vers l’étranger s’est poursuivi, avec les départs pour l’Angleterre de Savo Milosevic (à Aston Villa), de Sasa Curcic (à Bolton), et de Darko Kovacevic et Dejan Stefanovic (à Sheffield). Le niveau du championnat national s’est encore appauvri mais pas celui de la sélection, désormais essentiellement composée de pensionnaires des grandes ligues européennes, et qui s’impose en septembre en Grèce (2-0) grâce justement à des buts des « néo-Britanniques » Curcic et Milosevic. En novembre, c’est au tour des « Italiens » de faire parler la poudre : Mihajlovic et Savicevic, auteur d’un triplé, font exploser le Salvador (1-4) sur son terrain. Mais c’est quatre jours plus tard que l’escouade yougoslave marque réellement les esprits, avec un net succès (1-4) au Mexique qui donne à la première année en commun des troupes de Santrac encore plus de relief. A cinq mois de renouer avec les rencontres officielles, à l’occasion du début des éliminatoires de la Coupe du Monde 1998, les Plavi semblent prêts. Ils le confirment en mars 1996, devant leur public de Belgrade et la Roumanie du « Maradona des Carpates » Gheorghe Hagi (victoire 1-0). Après plus de quatre ans d’errance, l’heure des retrouvailles avec l’ivresse de la compétition a sonné. A l’aube d’une campagne de qualifications qui s’annonce des plus ardues (la Yougoslavie a hérité au tirage de l’Espagne et de la République Tchèque, finaliste cette année-là de l’Euro en Angleterre), Slobodan Santrac et ses hommes s’appuient sur un bilan comptable gage de certitudes : ensemble, ils ont remporté sept de leurs huit derniers matchs, au cours desquels ils ont inscrit 17 buts et n’en ont encaissé que cinq. Surtout, ils forment, aux yeux du monde et de leur peuple, la délégation chargée de représenter de nouveau un pays meurtri depuis 1991 par les guerres, et privé depuis presque aussi longtemps des émotions des compétitions sportives internationales. Un rôle et une mission dont ils vont s’acquitter avec brio.

Le 24 avril 1996, les Plavi accueillent les Iles Féroé pour leur retour à la compétition. Ce jour-là, le Stadion Crvena Zvezda, qui peut alors accueillir jusqu’à 60 000 âmes, sonne creux (16 000 spectateurs) et la rencontre est pliée en 20 minutes (victoire finale 3-1). Mais l’essentiel est ailleurs : la République Fédérale de Yougoslavie est de retour sur la scène sportive internationale. Début juin, Dejan Savicevic signe un second doublé de suite en sélection et les hommes de Slobodan Santrec terrassent Malte (6-0). Étant la seule équipe de la poule – Euro 96 oblige – à avoir disputé deux matchs, la Yougoslavie en profite pour s’emparer de la tête du groupe et mettre une petite pression sur la concurrence. Bien sûr, la qualification ne se gagnera pas contre les faire-valoir, mais les coéquipiers de Piksi Stojkovic envoient un message clair à l’Espagne, la République Tchèque et la Slovaquie : pour la course au Mondial, il faudra compter avec eux. Une tendance qui se confirme quelques mois plus tard. En octobre, ils font de leur voyage sur les Iles Féroé une promenade de santé (1-8), et se trouvent en position de force au moment d’accueillir la République Tchèque, qui sort d’un nul face à l’Espagne (0-0). Malheur au vaincu. Devant près de 47 000 supporters, les Plavi s’en remettent au néo-Madrilène Predrag Mijatovic pour repousser les vice-champions d’Europe à 8 points. Le mois de décembre s’annonce décisif dans la lutte pour la première place. A Valence, privée de Milosevic et Kovacevic, l’équipe tombe face à l’Espagne (2-0) des Guardiola, Luis Enrique, Kiko et Raul. La Roja revient à deux points, et récupère le fauteuil de leader la même semaine face à Malte (4-0).

…une Coupe du Monde pour récompense

Pour ne pas lâcher prise, la Yougoslavie doit absolument tenir le rythme imposé par les Ibériques, et l’emporter en République Tchèque qui abat déjà, alors qu’il lui reste 7 rencontres à disputer, sa dernière carte. Le 2 avril 1997, devant un public praguois médusé, Savo Milosevic crucifie les Tchèques dans les arrêts de jeu, et offre à son pays une finale du groupe 6 face à l’Espagne. Elle se jouera le 30 avril. A la clé, très probablement, un ticket direct pour la France. Ce jour-là, ils sont presque 50 000 à se masser dans les gradins du “Marakana” de Belgrade pour assister à l’exploit. Mais rapidement, Hierro douche les espoirs de Plavi qui ne recollent qu’en fin de match par Mijatovic (1-1). La chance yougoslave est passée. Santrec et ses hommes bouclent leur campagne qualificative sur un nul (1-1) en Slovaquie et un dernier carton à Malte, qui leur permet de terminer deuxième attaque (29 buts) des éliminatoires mais ne les dispense pas de l’angoisse des barrages. Le retour au premier plan se disputera avec la Hongrie, deuxième du groupe 3 derrière la Norvège et absente de toute compétition internationale depuis 1986. Pour l’une et l’autre des deux équipes, la qualification serait historique. Mais d’historique, il n’y aura que la tempête yougoslave qui, le 29 octobre 1997, s’abat sur Budapest et les Magyars, humiliés (1-7) par Mijatovic (auteur d’un triplé) et consorts, et tout proches, sans une réduction du score tardive, d’encaisser la plus lourde défaite de leur histoire. Marqué par un nouveau show de Mijatovic, qui signe un quadruplé, le match retour (5-0) valide sans surprise la présence au Mondial des épatants yougoslaves, invaincus (8 victoires et 6 nuls toutes rencontres confondues) en 1997 et plus que jamais annoncés comme des outsiders potentiels en France.

Un résumé du match entre les Pays-Bas et la Yougoslavie avec Denis Balbir pour commenter !

Le 14 juin 1998, huit ans jour pour jour après un succès fondateur sur la Colombie (1-0, premier tour du Mondial 90), c’est forte d’une préparation réussie que la Yougoslavie s’apprête à retrouver les hautes sphères du football mondial, face à l’Iran, sans Dejan Savicevic, blessé, et le seul Ivica Kralj comme représentant du championnat national dans son onze de départ. Le portier du Partizan garde sa cage inviolée (1-0) et les Plavi s’imposent, grâce à un coup franc de Mihajlovic, Proches de faire tomber l’Allemagne (2-2) lors du deuxième match, ils disposent des États-Unis (1-0) mais doivent se contenter de la deuxième place du groupe F, qui place sur leur route les Pays-Bas en huitièmes de finale. Pour les joueurs, ce 29 juin doit sonner comme l’accomplissement de quatre années de travail, de construction, de frustration. Les rencontres amicales, souvent disputées dans le plus grand anonymat, parfois face à des adversaires de seconde zone, dans des lieux exotiques et devant des stades à demi-vides ont laissé place à un match couperet, passage obligatoire pour l’Histoire. Mais l’avènement de la génération n’aura pas lieu. Il s’en faudra d’un rien : d’un poil de sang-froid, ou de précision, de la part de Predrag Mijatovic, qui se voit offrir, alors que les deux équipes sont à égalité (1-1), l’opportunité de donner l’avantage à son équipe. Mais le héros madrilène de la dernière finale de Ligue des Champions expédie son penalty sur la barre transversale de Van der Saar, et laisse Edgar Davids, qui mystifie Kralj d’une lourde frappe lointaine au bout du temps additionnel, endosser le costume du héros national. Les Yougos s’arrêtent là et assistent, en spectateurs, à l’incroyable parcours du voisin croate qui se hissera jusqu’aux portes de la finale. Dernière équipe à avoir croisé sa mise en sommeil, en 1992, les Pays-Bas version 1998 sont aussi les derniers témoins d’une équipe yougoslave tenant tête à l’élite du football mondial. Au bout de duel à l’arraché, il y avait un quart de finale de Coupe du Monde, pour d’autres retrouvailles, face à l’Argentine. Comme en 1990. Là où tout avait commencé…

Simon Butel

2 Comments

  1. Rodrigo Rivas 27 novembre 2015 at 6 h 13 min

    I like for the text… very good…

    Excellente page…

    Grettings from Argentina!

    PD: I´m not speak French

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  2. Anonyme 24 octobre 2019 at 0 h 06 min

    Albert Nadj a joué à l’OM ?

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