Temps de lecture 7 minutesVideoton, une épopée pour passer de l’ombre à la lumière

Dans l’esprit des amateurs de football hongrois, le nom de Videoton évoque, d’abord, le souvenir d’un exploit. Celui de s’être hissé, en 1985, en finale de coupe d’Europe face au Real Madrid, après avoir notamment éliminé le Paris Saint-Germain et Manchester United. Une performance qui est longtemps restée sans lendemain, puisque le club a ensuite replongé dans l’anonymat. Désormais de retour au premier plan, les Rouge et Bleu peuvent, comme en 2011 et 2015, décrocher le titre national. C’est du moins ce qu’espèrent leurs supporters, parmi lesquels se trouve un certain Viktor Orbán, Premier ministre de Hongrie.

À une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Budapest se trouve la charmante ville de Székesfehérvár. Elle fut, jusqu’à la fin du Moyen Âge, le lieu de couronnement des rois de Hongrie, d’où son nom de l’époque : l’Albe Royale. Aujourd’hui peuplée de 99 000 habitants, « Fehérvár » (littéralement « château blanc ») a incontestablement perdu de son lustre d’antan, au profit de la capitale magyare. La ville parvient néanmoins, de temps en temps, à revenir sur le devant de la scène nationale. Grâce à son club de football, le Videoton FC.

Le club naît en 1941, sous le doux nom de Székesfehérvári Vadásztölténygyár SK (promis, on arrête là avec les mots imprononçables). C’est une société de fabrication d’armements qui en est à l’origine, d’ailleurs les joueurs sont des employés de cette entreprise. Rapidement, plusieurs équipes sont créées, mais aucune d’elles ne parvient à atteindre l’élite du football hongrois. Pour y remédier, toutes décident de se réunir au sein d’une seule et unique formation en 1956. Peu de temps après, en 1957-1958, les joueurs de Fehérvár accèdent à la Nemzeti Bajnokság II, autrement dit la deuxième division nationale.

Le club change fréquemment de nom, et s’appelle Székesfehérvári VT Vasas lorsqu’il obtient, en 1967, la première promotion de son histoire au plus haut niveau. En janvier 1968, la compagnie Videoton, grand groupe industriel hongrois basé lui aussi à Fehérvár, décide de sponsoriser l’équipe de football locale. En dépit de quelques modifications mineures, le club s’appelle donc Videoton depuis cette date, restant très attaché à une entreprise qui est, aujourd’hui encore, l’une des plus importantes de l’Union européenne dans la sous-traitance de produits électroniques. Dans les années 1970, les Rouge et Bleu se stabilisent en D1, s’octroyant même le luxe d’être dauphins de Ferencváros en 1975-1976.

Au Parc des Princes, le PSG reçoit une gifle

Après plusieurs années à tutoyer le podium, Videoton se hisse pour la première fois en finale de coupe de Hongrie en 1982 (défaite 2-0 contre Újpest). Troisième à l’issue de l’exercice 1983-1984, le club de Fehérvár obtient le droit de disputer la prochaine coupe de l’UEFA. Dirigeants, joueurs et supporters ne le savent pas encore, mais ils s’apprêtent à vivre l’une des plus belles épopées de l’histoire du football hongrois.

Composée des frères Disztl (Péter dans les buts, László en défense centrale), du virevoltant Győző Burcsa sur l’aile droite ou encore de Jószef Szabó en pointe, la formation entraînée par Ferenc Kovács est très compétitive sur le plan national. Pour ce qui est de la C3, elle peut espérer passer un, voire deux tours, guère plus. Après avoir difficilement sorti le Dukla Prague (1-0, 0-0), Videoton croise sur sa route le Paris Saint-Germain. On imagine alors assez mal comment les Parisiens, emmenés par Dominique Rocheteau, Luis Fernandez et Safet Sušić, pourraient être contrariés par de modestes Hongrois. Le match aller, au Parc des Princes, doit être une formalité. Pourtant, à vingt minutes de la fin de la rencontre, ce sont les visiteurs qui mènent 4-0, suite à des doublés de Szabó et Csongrádi. Rocheteau offre au public, médusé, un baroud d’honneur qui rend la pilule à peine moins difficile à avaler (2-4).

Furieux, l’entraîneur Georges Peyroche prévoit un turn-over pour le match retour, deux semaines plus tard à Székesfehérvár. Baratelli et Bathenay, tenus responsables de cette déroute, ne sont pas alignés. Grâce à deux buts inscrits en première mi-temps, Videoton semble tranquillement se diriger vers une qualification au tour suivant, mais les conditions météo en décident autrement. Un épais brouillard s’abat en effet sur le Sóstói Stadion, incitant l’arbitre à interrompre la rencontre. Le match doit se rejouer le lendemain à 13h. Cité par nos confrères de Paris canal historique, Luis Fernandez se réjouit de cette décision : « On ne voyait plus rien du tout quand l’arbitre a renvoyé tout le monde aux vestiaires. Je me suis dit secrètement que le Bon Dieu était vraiment avec nous ! »  Ce n’était visiblement pas le cas, puisque le PSG s’incline finalement 1-0. Cette élimination précoce, ajoutée à une saison globalement décevante en championnat (13e) pousse le président Borelli à limoger Georges Peyroche. Sous la houlette de Gérard Houiller, le club de la capitale décroche, la saison suivante, son premier titre de champion de France.

Le Real Madrid, terme d’une épopée inoubliable

© vidi.hu
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Cet exploit ne sera pas le dernier pour les hommes de Kovács. En huitièmes de finale, le Partizan Belgrade est balayé (5-0, 0-2). Selon toute vraisemblance, le parcours des Vidi devrait s’arrêter en quarts, face à Manchester United. À Old Trafford, les Mancuniens s’imposent sur la plus petite des marges (1-0) et prennent une option sur la qualification. Mais, au retour, les choses ne se passent pas comme prévu pour Gordon Strachan et ses coéquipiers. Sur un coup-franc dévié, Géza Wittman remet les compteurs à égalité (1-0). Le score ne bouge plus, et il faut attendre la fatidique séance des tirs au but pour voir les deux équipes se départager. Après un arrêt de Péter Disztl face à Albiston, c’est Imre Vadász qui envoie le peuple rouge et bleu au paradis.

En demi-finale, Videoton peine à se défaire des Yougoslaves du FK Željezničar Sarajevo, eux aussi auteurs d’un remarquable parcours (3-1, 1-2). Dans le même temps, le Real Madrid bat difficilement l’Inter Milan et retrouve donc en finale des Hongrois que personne, dans l’Europe du football, n’attendait à pareille fête. Le Sóstói Stadion est plein comme un œuf (40 000 spectateurs) pour accueillir les Merengues. Malheureusement, ces derniers se montrent implacables. Michel, Gallego puis Valdano trouvent le chemin des filets, pour un score sans appel (0-3). Les protégés de Ferenc Kovács réussissent cependant à remporter la manche retour à Santiago-Bernabéu. Lajor Majer trouve la faille à cinq minutes du terme, Péter Disztl ayant, au préalable, repoussé un penalty de Jorge Valdano (0-1). Une dernière surprise qui ponctue un parcours d’anthologie pour le football hongrois qui n’a, depuis, jamais placé un de ses représentants en finale de coupe d’Europe.

Les années 2000, moment choisi pour garnir l’armoire à trophées

Cette parenthèse enchantée étant terminée, Videoton rentre dans le rang, luttant même parfois pour le maintien en première division. À force de jouer avec le feu, le club de Fehérvár finit par se brûler en 1999, avec une relégation qui met un terme à 29 années consécutives au sein de l’élite. De retour en NB I dès la saison suivante, les Vidi étoffent leur palmarès avec une coupe de Hongrie remportée en 2006, puis deux succès de rang en coupe de la Ligue (2008 et 2009).

L’exercice 2010-2011 est celui de la consécration, puisque la couronne de champion de Hongrie rejoint enfin la cité des rois magyars. L’année précédente déjà, Videoton avait occupé la tête du classement de longues semaines, avant de céder le trône à Debrecen. Cette fois, les Rouge et Bleu ne s’essoufflent pas dans le sprint final et remportent donc le titre national. Solidement installé en haut de tableau saison après saison, les hommes du Catalan Joan Carrillo sont à nouveau sacrés en 2015. Emmenés par un Nemanja Nikolić étincelant (meilleur buteur du championnat avec 21 réalisations en 25 matchs), Kleinheisler, Juhász et consorts ont su conserver une avance confortable sur Ferencváros. Videoton ne parvient cependant pas à réaliser le doublé, s’inclinant lourdement en finale de coupe de Hongrie face, justement, aux Fradi (0-4). Le duel entre les deux clubs reprend la saison suivante mais, auteurs d’un très mauvais départ sous les ordres de Bernard Casoni (démis de ses fonctions dès le mois d’août), les tenants du titre ne parviennent par à contrer l’envol des Aigles verts.

© FERENC ISZA/AFP/Getty Images
© FERENC ISZA/AFP/Getty Images

Viktor Orbán, irréductible fan des Vidi

Un classement final qui n’a sans doute pas plu à Viktor Orbán. Né à Székesfehérvár en 1963, le Premier ministre hongrois est un fervent supporter Videoton FC. Grand amateur de football, qu’il a pratiqué à un niveau semi-professionnel jusqu’en 2006, Orbán a inauguré en 2007 la Puskás Academy, sorte de Clairefontaine à la hongroise. Installée à Felcsút, village de 1 700 habitants qui a vu le leader du Fidesz grandir, cette structure n’est ni plus ni moins qu’un centre de formation destiné à fournir ses meilleurs éléments au voisin Videoton. Avant de porter le maillot rouge et bleu, László Kleinheisler, Ádám Gyurcsó ou encore Roland Szolnoki ont ainsi fait leurs gammes à la Puskás Academy. Cette dernière, dont l’équipe une vient d’être reléguée en NB II, possède d’ailleurs une enceinte flambant neuve depuis 2014. Il s’agit de la Pancho Aréna (4 500 places), où le club de Fehérvár a d’ailleurs élu domicile cette saison, le Sóstói Stadion étant en rénovation.

« Heureusement, je n’ai pas vu le match retour. C’est un SMS qui m’a mis au courant de ce Waterloo. C’était comme si j’avais reçu un coup en pleine poitrine. Plus d’une semaine après, je crachais toujours du sang. » S’exprimait ainsi Viktor Orbán en août 2013 pour Népszabadság suite à l’élimination de Videoton par le Mladost Podgorica (2-1, 0-1), lors du premier tour préliminaire de C3, en 2013-2014, avec toute l’exagération qu’on lui doit.

Écharpe rouge et bleue autour du cou, Viktor Orbán est souvent aperçu en tribune présidentielle. Il est la plupart du temps accompagné par des personnalités influentes, telles que Sándor Csányi, à la fois président de la Fédération hongroise de football et PDG d’OTP Bank, sponsor principal du championnat. Ce qui agace particulièrement les supporters des autres clubs, pour qui les Vidi sont évidemment favorisés, tant économiquement qu’au niveau des décisions arbitrales.

Des suspicions non vérifiées en ce début de saison, Videoton occupant après quatre journées une peu reluisante neuvième place, à six longueurs déjà du grand rival Ferencváros. Débarrassée de la coupe d’Europe depuis son élimination récente face à Midtjylland en troisième tour préliminaire de C3, la formation désormais entrainée par Henning Berg doit, sans perdre de temps, partir à la poursuite des Aigles verts. Pour que la lumière rejaillisse, à nouveau, sur la cité des Rois.

Raphäel Brosse


Image à la une : © FERENC ISZA/AFP/Getty Images

1 Comment

  1. laurent 19 août 2016 at 11 h 28 min

    Article très intéressant –
    Attention, Baratelli était bel et bien du déplacement – je lui ai parlé à l’hôtel où était descendu le PSG – effectivement, il y a eu un épais brouillard – on ne voyait plus rien – souvenirs, souvenirs 🙂 !!!

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