Pour ma deuxième fois à Odessa, je pouvais enfin voir du foot ; lors de ma première visite l’an passé le Chernomorets était privé de son stade pour des raisons peu évidentes de risques pour la sécurité. Interdit, au même titre que les villes de la Donbass, cette situation était alors un peu humiliante pour la fière cité portuaire qui pleurait déjà son football depuis le début de la saison. Cette fois, l’occasion allait se présenter et cette fois, j’arrivais depuis la ville de Nikolaïev, ville qui s’est arrêtée de vivre depuis la fin de l’Union Soviétique, ville pavée d’artefacts de ce qui fit un temps sa grandeur industrielle : la construction navale.

Bienvenue à Odessa!

Le seul lien avec Odessa, si ce n’est une vague ressemblance architecturale en centre ville, est donc le domaine naval. L’une a ses chantiers, où ce qu’il en reste, l’autre à son port qui fait vivre la plupart du million de ses habitants. La ressemblance s’arrête là mais aujourd’hui c’est Odessa qui nous intéresse.

Comment ne pas apprécier la vue lorsque l'on monte dans les gradins ?
Comment ne pas apprécier la vue lorsque l’on monte dans les gradins ? | © Adrien Laëthier / Footballski

Le grand port de la mer noire, connu pour son escalier Potemkine popularisé par le film d’Eisenstein (bien que le massacre des mutins eut plus probablement lieu dans les petites rues environnantes). Son architecture parfois désordonnée (ville étendue, quartiers résidentiels soviétiques, plages avec leur lot de divertissements nocturnes, centre-ville pittoresque fait de bâtiments assez bas et grand parc central où s’élève le majestueux stade du Chernomorets) permet tout de suite au visiteur occasionnel de ressentir son âme portuaire et cosmopolite, qui fait qu’elle a été souvent comparée à Marseille.

Ville cosmopolite donc, où de nombreuses langues étrangères étaient déjà parlées à l’époque de l’empire russe et où, aujourd’hui encore, se côtoient des personnes venues d’horizons différents. Souvent considérée comme une « ville juive », même si cette population a été décimée par différents régimes politiques ainsi que par la désertion pour Israël ou l’Amérique, Odessa a gardé son particularisme jusque dans sa langue influencée par le Yiddish.

Considérée à juste titre comme ville russophone, la langue parlée est pourtant particulière avec des expressions que l’on n’entend qu’ici. Si cela paraît logique dans l’ouest de l’Europe, il est bon de rappeler que le russe est en général une langue assez uniforme dans toutes les régions où il est parlé. Quasiment Russophone, mais pas forcément russophile. Historiquement et indépendamment du gouvernement central à laquelle elle était soumise (Russie, URSS, Ukraine), la ville a toujours été centrée sur elle-même tout en regardant vers la mer, vers le monde.

Si la situation politique actuelle pousse les gens à se forger une opinion – j’ai pu entendre tant l’amour du drapeau Ciel et Jaune que l’éloge de Poutine au fil de mes rencontres -, la plupart des gens rêvent toujours d’une impossible autonomie, voire indépendance. Trop farouche pour la Russie, trop spécifique pour l’Ukraine qu’elle contribue à nourrir, elle n’a pourtant pas échappé à certains troubles en 2014. C’est d’ailleurs ceci qui explique le fait que le Chernomorets a dû jouer à Kiev suite à certains affrontements politiques survenus alors. Si aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre sur les bords de la Mer Noire, le club, lui, continue à cultiver sa différence. Ici les billets sont en russe, tout comme les annonces du speaker du stade, alors que par exemple à Kharkov (ville très russophone) tout ceci est en ukrainien. En regardant donc ce fameux billet, on découvre que l’adversaire de l’après-midi est le FK Aleksandriya, ou Oleksandriya en ukrainien. Une opposition de style en tous points avec une ville qui ne vous dit sûrement rien.

Et bienvenue au stade !
Et bienvenue au stade ! | © Adrien Laëthier / Footballski

En place pour le match

Oleksandriya est une ville située dans l’oblast de Kirovograd, le plus politiquement divisé dans l’Ukraine d’avant « Maïdan », le seul à voter quasiment à parts égales pour les partis pro-européens et pro-russes. Le maire de la ville y est toujours issu de l’ancien « Parti des Régions » et la population est principalement ukrainienne, mais parle un surzhik nettement plus proche du russe. Cette région est complètement rurale tandis que la ville d’Oleksandriya ne dépasse plus les 100 000 habitants de nos jours . Rien à voir avec la grande Odessa.

Une petite ville mais des Ultras fidèles en déplacement.
Une petite ville mais des Ultras fidèles en déplacement. | © Adrien Laëthier / Footballski

Footballistiquement, nous sommes dans le même paradoxe. D’un côté, le grand et glorieux Chornomorets, fier de son histoire soviétique et ukrainienne, performant un temps sur la scène européenne. De l’autre, le FK Oleksandriya, club solide de deuxième division basée sur une bonne académie. Mais voilà, la nouvelle donne ukrainienne a également bouleversé le football et les courbes se sont croisées. Le Chornomorets s’est effondré financièrement tel le Metalist et peine à se maintenir, n’ayant pu battre cette saison que l’infortuné Metallurg Zaporozhye. Les visiteurs du jour, souvent jugé trop faibles pour se maintenir dans l’élite surfent sur la vague d’un championnat affaibli et se retrouve dans la première moitié du classement. Alors que, sans manquer de respect au travail respectable effectué dans ce club qui lui aurait sans doute permis d’assurer le maintien dans l’UPL d’avant 2014, le club aurait sans doute eu à batailler plus fortement pour terminer aux alentours de la treizième place (ce qui représente toujours à ce jour la meilleure performance de ce club, aujourd’hui sixième).

Et le terrain dans tout ça, me direz-vous ? Pas forcément grand-chose à dire ! La majestueuse enceinte d’Odessa sonnait désespérément creux en cette belle journée ensoleillée. Pas même 3 500 personnes y avaient pris place pour voir les leurs cueillis d’entrée par un but de Polyarus à la dixième minute. Empruntés avec une défense désespérément à la traîne, les locaux vont passer plusieurs fois tout prêt de la catastrophe avant de finalement se montrer. Malheureusement, Kalitvintsev et Korkishko, les ailiers fournis par le Dynamo Kiev (car, oui, le Chornomorets est devenu un club de seconde zone forcé d’emprunter les espoirs des deux « gros »), ont fait preuve d’une grande maladresse. A la mi-temps, les visiteurs sont donc devant et cela permet à la cinquantaine d’ultras venus d’Oleksandriya de fêter bruyamment cet avantage par des chants alternants ukrainien et russe. Pour les deux petits groupes de fans locaux, la seule raison de se réjouir aura été les quelques chants à la gloire du pays ou contre le leader de l’encombrant état voisin, interprété de différentes façons de concert ou en écho à leurs homologues d’Oleksandriya.

Néanmoins, les ultras d’Odessa ne se découragèrent pas et c’est l’enfant du club Evgeniy Martinenko qui va égaliser sur corner. Le défenseur, bien-aimé du public, a su se faire pardonner ses errements défensifs en redonnant espoir à un Chernomorets qui va pousser pour finalement se faire punir par Leonov à dix minutes de la fin, au moment exact où l’on se prenait à rêver d’une improbable victoire, qui eut été la première depuis le 18 octobre… Mais le football en a décidé autrement et le but de l’égalisation quasi immédiat sera refusé par l’arbitre, non sans une hésitation laissant le temps au stade de croire de nouveau à l’impossible.

Les visiteurs remercient le public qui s'est déplacé pour eux.
Les visiteurs remercient le public qui s’est déplacé pour eux. | © Adrien Laëthier / Footballski

Après avoir salué les joueurs de leurs valeureux efforts, tout le monde se dirige vers la sortie, moi également et l’enceinte majestueuse qui avant offrait un spectacle sportif intéressant, en plus d’une spectaculaire vue sur la mer, n’a aujourd’hui plus que la vue du port à offrir à ses derniers fidèles. Comme à Kharkov en octobre, je quitte une enceinte neuve qui se meurt, une ville de football qui se meurt, une grande ville de l’Ukraine qui se meurt. C’est en fait tout le football ukrainien qui se meurt et nul ne sait si le Chornomorets Odessa sera toujours là en juillet prochain pour la reprise… En attendant, l’Ukraine qui a beaucoup d’autres problèmes a laissé tomber ses grands du ballon.

Les notes Footballski :

Odessa Oleksandria

Standing du stade (4,5/5) :

Une enceinte magnifique, je pense que vous avez déjà compris cela pendant mon article, avec un hôtel à l’intérieur, un design plaisant, des abords accueillants et des sièges confortables. Tout ce qu’il faut pour une ville de cette stature.

Disponibilité des billets (5/5) :

Sur internet comme au guichet, vous ne risquez pas d’avoir de problèmes pour acheter une entrée pour les matchs du Chornomorets qui ne parvient même plus à remplir régulièrement 10% de la capacité de son arène.

Tarifs (5/5) :

J’ai dépensé 50 Hryvnia, soit un peu moins de deux euros, sachant que les tarifs commencent à environ un euro et ne vont pas au-delà de la quinzaine d’euros. Un match qui vous ne ruinera pas !

Ambiance (2/5) :

Malgré de valeureux fans irréductibles utilisant des pyros douteux, impossible de mettre plus de deux quand le stade est quasiment vide et que les chants ne suffisent plus à faire illusion.

Des pyros douteux pour une ville portuaire où les réserves ne doivent pas manquer...
Des pyros douteux pour une ville portuaire où les réserves ne doivent pas manquer… | © Adrien Laëthier / Footballski

Risques (4,5/5) :

Rien à signaler de ce côté-là, les ultras des visiteurs n’étant même pas complètement isolés. Tout le monde pouvait se croiser à la buvette et les rues alentour bien sécurisées. Un demi-point de perdu pour ne pas tomber dans l’utopie.

Accessibilité & transports (5/5) :

Le stade se trouve au centre d’un parc, près du port, à deux pas du centre-ville. Les transports urbains le desservent. Rien à dire donc, vous ne pouvez pas le rater ni vous perdre.

Boissons (3/5) :

Un choix classique bien qu’assez faible, mais que demander quand l’affluence est si faible ? Rien de très pittoresque, mais le strict nécessaire pour une note moyenne bien méritée.

Quartier environnant (5/5) :

La mer ! Le port ! Le centre-ville ! L’histoire (escalier Potemkine) ! Que demander de plus pour passer une belle après-midi en plus du football ? Venez, vous ne regretterez pas votre journée, même si le spectacle n’est plus vraiment au rendez-vous sur le carré vert.

1-2 ! Tristesse pour le football !
1-2 ! Tristesse pour le football ! | © Adrien Laëthier / Footballski

Adrien Laëthier


Image à la une : © Adrien Laëthier / Footballski

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