Temps de lecture 4 minutesRussie Euro 2016 : Naturalisation et Sbornaya, le débat

Samedi 21 mai 2016, Leonid Slutskiy, entraîneur de la sélection nationale russe présentait sa liste des 23 pour l’Euro 2016 en France. Parmi cette liste se trouvait Guilherme, gardien d’origine brésilienne qui a acquis la nationalité russe fin 2015 et Roman Neustädter, allemand qui, au moment de l’annonce de la liste, n’avait toujours pas son passeport russe en poche.Russie

Le premier, Guilherme, n’est autre que le gardien du Lokomotiv Moscou depuis 2007. A 30 ans, il a passé la majeure partie de sa carrière professionnelle en Russie. N’ayant jamais été sélectionné avec le Brésil ni chez les jeunes ni en équipe première, Leonid Slutskiy lui offre sa première sélection avec l’équipe nationale russe en mars 2015. Il entrera en jeu en deuxième mi-temps du match amical contre la Lituanie (victoire 3-0). Il est donc devenu le premier joueur étranger sans origine russe à être naturalisé.

Le deuxième, Roman Neustädter est né à Dnipropetrovsk en Ukraine (à l’époque URSS) d’une famille d’Allemands de la Volga (Allemands invités par Catherine II à s’installer au XVIIIe siècle dans l’actuelle région de Saratov dans le Sud de la Russie). Lors d’une interview, les parents de Roman exprimèrent leur mécontentement face aux critiques :

« Quand les gens disent que Roman n’est pas russe, qu’il ne mérite pas de jouer pour la sélection, ça me fait bien rire. D’où vient notre famille alors ? Nos ancêtres, oui, sont allemands, mais ils sont arrivés dans l’Empire russe du temps de Pierre le Grand et de la reine Catherine. Ils ont construit des bateaux, des usines… »

Le père de Roman Neustädter a d’ailleurs été joueur de foot et évolua au Dnipro Dnipropetrovsk. C’est ensuite qu’il amena sa famille en Allemagne où le jeune Roman se forme au FSV Mayence 05 puis joue au Borussia Mönchengladbach (2009/12) et à Schalke 04. Il joua quelques matchs pour les sélections jeunes allemandes (U20 et espoirs) et est même appelé par Joachim Low avec la Nationalmannschaft pour deux matchs amicaux.

Mais Roman veut jouer l’Euro 2016 et la tentation de jouer pour la Russie ne le dérange pas le moins du monde, même si l’obtention du passeport russe lui fait perdre de facto la nationalité allemande. Il faudra d’ailleurs un décret du Président russe Vladimir Poutine pour faire accélérer la procédure.

UKAZ

Deux politiques antagonistes

Ces deux joueurs représentent la politique de naturalisation qu’a décidé d’utiliser la Fédération russe de Football et son Président, et ministre des Sports, Vitaly Mutko dans l’optique de la Coupe du Monde 2018 en Russie. Former une équipe composée des meilleurs Russes du Championnat national et enrôler des joueurs étrangers d’origine russe ou sans aucune parenté.

Ce qui est embêtant, c’est qu’en parallèle, la Fédération a décidé de contrôler le nombre de légionnaires (joueurs étrangers jouant dans le Championnat national) évoluant dans les clubs afin de permettre aux joueurs russes d’être plus titularisés (règle du 6+5, c’est à dire 5 légionnaires maximum en même temps sur le terrain). Il est logique de penser que les joueurs russes aient pour objectif d’être sélectionnés en équipe nationale. Objectif ultime pour tout joueur de football, il me semble.

Cette politique de naturalisation va à l’encontre de ce « protectionnisme » pourtant encouragé par la Fédération. Elle ne peut que frustrer certains joueurs russes sélectionnables voyant un naturalisé à leur place. On peut aussi se poser la question de la nécessité d’une telle politique pour certains postes. Le cas de Guilherme par exemple pose question sur les réseaux sociaux quant à l’utilité de sélectionner un gardien naturalisé alors que le poste ne manque pas de prétendants russes…

D’ailleurs qu’en pensent les joueurs de la Sbornaya ?

Les réactions divergent… Il y a les opposants à la naturalisation tels que Dmitri Tarasov ou Dzyuba qui déclara :

« J’ai un point de vue négatif concernant la naturalisation. Beaucoup disent qu’ils font ça en Europe mais ils font beaucoup de choses que nous ne comprenons pas… Quand l’hymne russe se joue, tu dois le sentir au plus profond de toi. »

D’autres ont changé leur avis au cours du temps tel qu’Igor Akinfeev, Artiom Rebrov ou encore Dmitri Kombarov, qui avant se disait d’accord avec la naturalisation et pourtant a récemment déclaré que « seuls les joueurs russes doivent jouer en équipe nationale » …

Certains expriment leur avis favorable comme Alexandre Kokorin« Ça me va la naturalisation. Il y aura probablement pas mal de blagues à ce sujet. Mais pas plus que ça. Nous n’accepterons définitivement pas le racisme. » Expliquait l’attaquant du Zenit.

Un tour des réactions pour montrer que les avis sont partagés et que cet aspect peut influencer la vie d’un groupe lors d’une compétition. Les dirigeants sont-ils conscients de ces possibles problèmes de groupe ? Lorsque tout va bien, ces problèmes s’estompent, mais lorsque la pression monte, quand les défaites arrivent, c’est là que ces considérations peuvent poser problème.

Et qu’en pensent les supporters ?

Les critiques n’ont pas tardé à se faire entendre sur les réseaux sociaux et dans les médias, se demandant ce qu’un Allemand venait, par exemple dans le cas de Roman Neustädter, faire en sélection russe.

© PHILIPP GUELLAND/AFP/Getty Images
© PHILIPP GUELLAND/AFP/Getty Images

Le site Futbolgrad a publié un article qui reprend les réactions des fans lors de la première sélection de Guilherme. Ainsi, certaines personnes pointent le fait que Guilherme vit en Russie depuis 2007, qu’il parle russe, montrant ainsi qu’il est bien intégré au pays et à sa culture, facteur important pour un russe. D’autres personnes voient l’équipe nationale comme une institution qui ne doit être constituée que de Russes alors certains pensent que la sélection nationale va perdre tout son sens si même des étrangers peuvent l’intégrer. Beaucoup d’autres pointent le fait qu’il faille développer ses propres talents. Ces réactions peuvent malheureusement glisser sur un terrain dangereux…

Un moyen pour contourner la règle du 6+5 ?

La naturalisation n’est peut-être pas seulement le moyen de pouvoir participer à une compétition internationale. Elle peut aussi permettre de contourner cette règle du 6+5. La possibilité pour un club de faire passer un joueur du statut de légionnaire à russe peut amener beaucoup d’avantages. La naturalisation de Roman Neustädter coïncide bizarrement avec les annonces de transfert dans des clubs russes tel que le Zenit… Même si ça n’est peut-être pas le cas, l’idée est tentante…

© PHILIPP GUELLAND/AFP/Getty Images
© PHILIPP GUELLAND/AFP/Getty Images

La tentation de continuer…

Les prétendants semblent nombreux au portillon. Lorenzo Melgarejo s’est posé la question de jouer pour la Sbornaya et l’idée continue de faire son chemin. Le défenseur du CSKA Mario Fernandes est aussi sur les tablettes de la Fédération.

Cette politique n’a qu’un objectif de court terme à savoir la Coupe du Monde 2018 en Russie. Peut-elle être viable à long terme, c’est une autre question. Il me semble que la formation et le développement du Championnat national en général sont des axes sur lesquels les dirigeants doivent se fixer. Un travail plus compliqué en effet, mais beaucoup plus en accord avec ce que les joueurs et le public attendent de la Sbornaya.

Vincent Tanguy


Image à la une : © VASILY MAXIMOV/AFP/Getty Images

2 Comments

  1. ROIG 6 juin 2016 at 14 h 12 min

    Sujet très intéressant,
    La France par exemple fait l’inverse. Elle forme des joueurs, de plus en plus d’origines africaines, qui une fois majeurs choisissent leur Nation d’origine. Et ce, même s’ils sont nés en France.
    De ce que j’ai vu du championnat russe, il me semble relativement technique mais accuse un retard de vitesse dans le jeu. On peut toutefois, gommer le défaut par une plus grande justesse.
    La forme du 6+5 est vraiment pertinente. Même si les clubs vont essayer de détourner la règle par les naturalisations. Mais c’est le lot, de chaque règlement..
    Cela permet d’avoir un apport étranger, donc de nature différente, mais de qualité. Cela permet aux joueurs russes d’éclore, aux moyens de s’améliorer et de varier les connaissances.
    toutefois, le gros problème en Russie, réside dans les conditions climatiques et le décalage du championnat. Il faudrait vraiment couvrir les stades et les terrains d’entraînement pour se caler sur le calendrier européen. Mais, je ne sais pas si avec les contraintes, neige, froid, cela est réellement possible.
    Au lieu de sponsoriser l’UEFA, il aurait fallu investir dans ce genre d’infrastructure. A moins que le sponsoring ne soit une condition de l’attribution de 2018.
    Bravo et bon courage pour votre site…

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  2. ahmed 12 juin 2016 at 0 h 47 min

    Article cite sur bein pendant le match Angleterre – Russie de ce soir. Beau travail !!

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