Un nom et deux clubs ? Surprenant en France sans doute,  mais nos amis tchèques notamment sont grandement habitués à ce genre de quiproquos qui ne se terminent pas toujours bien. Mais quand il s’agit d’un nom, de deux clubs et de deux pays (de facto mais pas de jure), la situation s’en trouve automatiquement pimentée. Il apparaît donc légitime de se demander où se trouve le véritable Tavria et à travers cela, de donner un coup de projecteur sur la création passée inaperçue du Tavria en exil dans la campagne profonde du sud de l’Ukraine.


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Un peu d’histoire

Le Tavria Simferopol, que certains n’associent qu’au ventre-mou du championnat ukrainien dans les années 2000 ou à une séance de tirs au but  interminable contre le Stade Rennais en feu la Coupe Intertoto (avec Mikhaylo Fomenko sur le banc à l’époque), a une histoire beaucoup plus riche que cela.

Le Tavria Simferopol en Ligue Supérieure d'URSS © Ancien site officiel du club
Le Tavria Simferopol en Ligue Supérieure d’URSS © Ancien site officiel du club

Créé en 1958 sous le nom d’Avangard, le club de Simferopol dispute son premier match pendant l’été qui se solde par un score vierge contre le Khimik Yaroslavl. L’équipe va rester longtemps en « Classe B » qui va se régionaliser et devenir le championnat de RSSU, et ce malgré une troisième place dès 1962. La première arrivera en 1973 suite à une victoire contre le Lokomotiv Donetsk qui sera suivie par une autre sur le Iskra Smolensk permettant au Tavria de rejoindre l’antichambre de l’élite soviétique. C’est à ce niveau que les Criméens passeront le plus clair de leur temps, mais en 1980, ils gagnèrent le droit, pour une saison, d’évoluer dans l’élite, grâce à un titre de champion glané après une victoire face au Zalgiris Vilnius, juste devant le Dnipro. La découverte de l’élite fût néanmoins douloureuse et malgré quelques victoires (huit) dont certaines de prestige comme notamment celle face au Dinamo Moscou au printemps, le Tavria finit dix-septième et quitte définitivement l’élite soviétique. La descente les ramènera même au troisième échelon, duquel ils vont atteindre les demi-finale de la Coupe d’URSS en 1987 et tomber contre le Dinamo Minsk après avoir pourtant éliminé le Lokomotiv, le Khimik Grodno, le Chernomorets ou encore le Metalist en quarts.

Les supporters ne manquent jamais de rappeler leur glorieux passé © Collection d'Oleg
Les supporters ne manquent jamais de rappeler leur glorieux passé © Collection d’Oleg

Le Tavria va remonter en première ligue (D2) mais son histoire soviétique s’arrêtera là, non sans une victoire de prestige en amical contre la sélection nationale en 1991, alors composée de Cherchesov, Mostovoy, Shalimov ou encore Kanchelskis. Mais le meilleur est à venir, dès 1992, où le club écrivit la plus belle page de son histoire. En effet, pour ceux qui l’auraient oublié, le Tavria est le premier champion de l’histoire de l’Ukraine indépendante. Une surprise énorme à l’époque alors qu’il y avait notamment le Dynamo Kiev comme hyper-favori. Le 21 juin 1992, Sergey Shevchenko (l’actuel entraîneur du club) marque contre le Dynamo et le Tavria est donc champion. Le seul, encore aujourd’hui, à avoir été champion d’Ukraine hors Dynamo et Shakhtar qui se sont partagés les 24 titres suivants. Le Tavria ne renouvela plus jamais pareil exploit et ne termina jamais mieux que cinquième (à trois reprises) et ne retrouva la gloire qu’en 2010 en remportant la Coupe aux dépends du Metallurg 3-2, après prolongations et un but victorieux du Nigérian Lucky Idahor.

2014, une année mouvementée

Il était écrit que le Tavria allait quitter l’élite ukrainienne en 2014, mais les événements ont donné à ce départ une toute autre dimension. En effet, le Tavria se traîne en fin de classement dès le début de saison 2013, une place indigne de son rang et n’est sauvé de la dernière place que par la faillite de l’Arsenal Kiev. Le club file tout droit vers la D2 (Persha Liga) mais ce sont les événements du printemps criméen qui vont tout changer. A l’issue du référendum du mois d’avril, la Crimée est occupée (ou réunifiée, c’est selon) par la Russie et les membres du club ayant choisi la Russie comme terre d’attache se prennent à rêver d’une intégration en RPL (en compagnie du FK Sevastopol, alors également en UPL). Mais cela ne se fit pas et c’est au fond de la D2-Sud (troisième niveau russe) que le TSK-Tavria, le SKChF Sevastopol et le Zhemchuzhina Yalta (alors en Persha Liga Ukrainienne) sont inscrits à la hâte. Il faudra même recréer un club à Sochi pour que le championnat compte un nombre pair d’équipes, nombre amené à 22.

Un enterrement de première classe donc, loin des rêves de grandeurs, car le niveau de cette division est très loin de la RPL, et n’offre qu’une place par an pour rejoindre la FNL. Pour vous donner une idée, le dernier champion de D2-Sud à avoir rejoint la RPL fût le Spartak Vladikavkaz en 2006. Mais après quelques matchs de championnat et un premier tour de coupe, doté d’un effectif constitué à la hâte avec des habitués de ce niveau de compétition venus de toute la Russie profiter du soleil de Crimée, la plaisanterie tourna court. En effet, l’Ukraine a enjoint l’UEFA de faire cesser la participation de clubs issus de son territoire à un championnat dirigé par une fédération étrangère, et ce sans son accord (pour qu’un club puisse évoluer dans un championnat « étranger », il faut l’accord de la fédération de tutelle du club, selon les règlements de l’UEFA).

L’instance européenne, voulant protéger le football partout en Europe et trouver une solution, autorisa néanmoins la fédération républicaine de Crimée (rattachée à la fédération russe) à organiser un championnat dès le mois d’août 2015 où le TSK prendra part et deviendra champion avec un effectif constitué d’anciens jeunes et joueurs du club avant 2014 et de vieux briscards venus des divisions inférieures russes, le tout entraîné par la légende du club, Sergey Shevchenko. Mais pourquoi le club s’appelle-t-il TSK comme « Tavria Simferopol Krym » ? Tout simplement car la FFU et les dirigeants du club restés fidèles à l’Ukraine, étant propriétaire du nom officiel et de son logo, ont refusé de reconnaître la filiation du club évoluant en KPL (Première Ligue de Crimée).

Chronique d’une renaissance annoncée et attendue

Pendant ce temps-là, l’autre fédération criméenne de football, celle restée sous la tutelle de l’Ukraine, cherche à faire renaître le club et le faire jouer en exil, tel les clubs du Donbass dont le meilleur exemple est le Shakhtar Donetsk (exilé à Lviv, que l’on a pu voir jouer récemment). Dès 2015, on annonce le club à Kherson, centre régional du sud de l’Ukraine où se trouve déjà un club historique, le Krystal Kherson. L’idée, au nom de la solidarité actuelle, ne semble pas déplaire aux locaux mais les Ultras du Krystal ont prévenu que cela ne devrait pas se faire au détriment de leur club de cœur et équipe emblématique de la ville. L’idée est ainsi de repartir au troisième niveau, appelé Druga Liga, et dernier niveau professionnel ukrainien.

Cependant, le projet a pris du retard et n’a pu se concrétiser que cette saison, et au niveau amateur, c’est-à-dire le quatrième niveau, où évolue notamment le Metalist Kharkiv aujourd’hui. Sergey Kunitsyn, homme d’affaire et nouveau président de la fédération criméenne, s’est activé et avec un peu de retard, le club prend désormais part à ce championnat mais s’est finalement basé dans une petite ville voisine de Kherson, Beryslav où les installations sont meilleures et où le Tavria ne souffre pas de concurrence. Bien-sûr, cela pose certains problèmes, notamment pour ce qui est des retransmissions des matchs car ce n’est pas toujours facile de trouver les facilités pour diffuser les matchs dans des villes de moindre importance. Néanmoins, l’essentiel est ailleurs : le club historique est ressuscité.

Joueurs et ultras, ensemble © Page FB des ultras du Tavria
Joueurs et ultras, ensemble © Page FB des ultras du Tavria

Les Ultras, restés en grande majorité fidèles à l’Ukraine ont eu une part importante dans ce projet, et notamment Oleg que nous avons interviewé et qui est désormais vice-président bénévole de la fédération. Le jeu n’est pas encore complètement au point non plus, et ce principalement à cause du retard. En effet, le club a commencé la saison alors que les effectifs des concurrents étaient déjà enregistrés et que les premières journées avaient déjà eu lieu. Difficile donc dans ce cas de présenter un effectif compétitif, mais les joueurs se battent pour ce maillot qui représente beaucoup. Des joueurs locaux pour la plupart, avec également un joueur originaire de Crimée et d’autres venus de Kiev ou du Donbass. Après six matchs, le Tavria est neuvième de son groupe (sur 12 équipes) et déjà bien loin des deux équipes de Kharkov : le grand Metalist et le Solli Plus. Néanmoins, le Tavria est parvenu à s’imposer 4-3 sur la pelouse d’Ingulets-3, bien aidé par leur nouvel entraîneur Sergey Shevchenko.

Ce nom vous rappelle quelque chose, n’est-ce-pas ? En plus d’être une légende du club, c’est bien lui qui a amené le TSK au titre en Crimée. Son arrivée a bien sûr fait beaucoup jaser et les Ultras se sont formellement opposés à l’arrivée d’un « traître » par une lettre ouverte sur les pages officielles du mouvement. Néanmoins, la compréhension semble aujourd’hui revenue et nous n’avons pas manqué de poser la question à Oleg. Ce dernier nous a également expliqué que le club devait avoir une fonction au-delà du sportif, un motif d’espoir pour les jeunes de Crimée qui voudraient venir en Ukraine étudier et porter le maillot d’un club historique, un projet social qu’il conviendra de suivre avec intérêt. Un projet social et professionnel car l’équipe a pour but de redevenir professionnel dès la saison 2017/2018, avec un effectif renforcé mais en maintenant la confiance envers les hommes qui sont venus au début du projet.

Avant-match © Page FB des ultras du Tavria
Mi-temps © Page FB des ultras du Tavria

Après cette courte présentation, nous vous invitons à lire l’interview d’Oleg Komunyar qui va vous en apprendre plus sur le club, sur ce projet ainsi que sur les Ultras du Tavria. Le club, que nous n’avons pu voir lors de son match nul sur le terrain du Edinist Plysky, joue dès dimanche à Beryslav contre le MFK Zhytomyr, un match à leur portée.

Ambiance à Plysky contre Edinist © Page FB des ultras du Tavria
Ambiance à Plysky contre Edinist © Page FB des ultras du Tavria

Adrien Laëthier


Image à la une : Match Solli Plus Kharkov vs. Tavria Simferopol / 2016 © Page FB des ultras du Tavria

3 Comments

  1. JF 16 novembre 2016 at 19 h 56 min

    Belge et donc jouissant d’une position centrale, j’ai pendant trente ans essaimé vers les matches des grands championnats voisins. Je me tourne maintenant vers l’Est. Je vais effectuer le prochain w-e mon troisième trip en trois mois vers la Tchéquie.
    Des compte-rendu aussi exhaustifs mais surtout de grande qualité me donnent envie d’aller plus loin encore.
    Magnifique boulot, Keep the Faith!

    Reply
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