Ah l’hiver en Sibérie ! Oubliez tout de suite les représentations apocalyptiques qui trainent dans l’inconscient collectif. Vraiment rien à voir avec la planète Hoth, sauf si on vit à Yakoutsk. Non, l’hiver au-delà des monts Oural, c’est un heureux mélange de froid revigorant, d’expéditions rocambolesques au village et de neige en veux-tu en voilà. Le paradis sur terre, en somme, sauf que Saint Pierre a oublié de mentionner que la trêve hivernale durait trois mois. Trois mois sans stade, sans brochettes avant le match, sans chants d’ultras ; un vrai coup dur pour la collection de programmes et d’écharpes, qui prend la poussière sur les étagères.


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Alors on fait avec. Le premier mois, c’est une orgie de matchs européens en différé, le moindre Bologne – Chievo Vérone rediffusé sur NTV est une fête. Le deuxième mois, on sirote anxieusement son whisky en attendant le début des soirées européennes à 1h du mat’. Le troisième mois, tous les signes d’une crise sérieuse sont là : les mains sont agitées de tremblements incontrôlables, on entend l’hymne du Sibir Novossibirsk partout, on devient paranoïaque : « Il y a trop de neige ! IL Y A TROP DE NEIGE ! Le stade ne sera jamais prêt pour le 12 mars ! » Contre la morale, contre toutes les conventions sociales,  en dépit du bon sens, on se met à envisager le pire, l’inavouable…

Aller voir un match de futsal.

Sibiriak Novossibirsk vs. Dynamo 2
On a une excuse, c’était une demi-finale de Coupe de Russie (© Adrien Morvan / Footballski)

Il faut dire que le futsal en Russie, c’est un peu la revanche des villes du froid. Les Russes pratiquent plus volontiers le football en intérieur, étant donné les conditions climatiques, ce qui a permis au « mini-football », comme on dit en russe, d’acquérir une certaine popularité. Les places fortes de la discipline se trouvent à Moscou et à Saint-Pétersbourg, bien sûr, mais aussi dans des coins comme Iougorsk, Tioumen, Syktyvkar ou Oukhta. La Super Ligue, le premier échelon du mini-football national, comporte même le club du Parti communiste russe et celui du combinat Nornikel à Norilsk. A ce moment-là de l’article, si tu n’as pas d’étoiles plein les yeux, c’est que tu n’as pas d’âme !

Le Sibiriak Novossibirsk, lui aussi, est pensionnaire de Super Ligue, avec un collectif bien rodé qui se qualifie régulièrement pour les phases finales du championnat. Le 23 février, jour des défenseurs de la Patrie en Russie (ancienne Fête de l’Armée rouge), les Sibériens recevaient la section futsal du Dinamo Moscou pour les demi-finales de la Coupe de Russie. Autant le dire tout de suite, nous avons assisté à un match fou, même pour ce sport d’épileptiques qu’est le mini-football.

Petit rappel des principales différences entre le football et le futsal : au futsal on joue à cinq contre cinq, les touches se font au pied, les remplacements sont illimités, chaque période dure 25 minutes de temps de jeu effectif (en Russie en tout cas), il n’y a pas de hors-jeu et au-delà de cinq fautes directes, chaque nouvelle faute entraîne un penalty à 10 mètres, quel que soit l’endroit du terrain où elle a été commise. Les penaltys à 6 mètres sont réservés aux fautes à l’intérieur de la surface. Si un joueur est expulsé, il quitte définitivement le terrain et son équipe doit jouer en infériorité numérique pendant deux minutes ou jusqu’à ce que l’adversaire marque un but.


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En arrivant à la salle, un gymnase accolé à l’université d’architecture de Novossibirsk, une petite foule de fumeurs en écharpes rouge et blanche est déjà en train de patienter près des portes. Fait rare en Russie, la présence policière est plutôt discrète, bien que le match se joue presque à guichet fermé. Seconde surprise : les ultras sont là ! Un groupe d’une vingtaine de supporters motivés s’est regroupé derrière les buts, avec drapeaux, tambours, et bannières.

Le Sibiriak mise sur une association inédite pompoms-ultras (© Adrien Morvan / Footballski)
Le Sibiriak mise sur une association inédite pompoms-ultras (© Adrien Morvan / Footballski)

Au futsal, l’équipe est le plus souvent constituée d’un gardien, d’un libéro, de deux milieux et d’un avant-centre, avec des permutations constantes. Au coup d’envoi, Novossibirsk aligne trois Brésiliens : le jeune attaquant Marco Boaventura, le vieux briscard João et le triple-champion du Kazakhstan Leo Santana. Deux Russes viennent compléter l’effectif : le gardien Alekseï Formine et le milieu Maxime Volyniouk.

En face, c’est une machine de guerre qui se présente, un club neuf fois champion de Russie, neuf fois vainqueur de la coupe, champion d’Europe en 2007 et champion intercontinental en 2013. L’attaque des tchékistes est emmenée par le géant brésilo-espagnol Fernando, sosie troublant de l’ancien Lyonnais Cris. Pour l’alimenter en ballon, Temour Alekberov a choisi d’aligner un duo russo-brésilien Bourkov-Fernandinho. C’est cette association gros Fernand-petit Fernand qui va le plus faire souffrir la défense du Sibiriak en seconde période… Le poste de libéro est assuré par Romulo, un roc qui fait le bonheur des Moscovites depuis 2010, et qui a été naturalisé russe l’année dernière. En l’absence de Gustavo, c’est Ivan Poddoubny qui s’installe dans les cages.

Sibiriak Novossibirsk (en rouge) vs. Dynamo Moscou (en bleu)
Sibiriak Novossibirsk (en rouge) vs. Dinamo Moscou (en bleu)

La rencontre démarre sur les chapeaux de roue avec une vague d’offensives du Sibiriak sur les buts gardés par Poddoubny. Le portier du Dinamo repousse une, deux frappes, mais se fait finalement battre par un tir tout en finesse de Leo Santana (1-0). Dans la confusion qui suit, Volyniouk parvient à intercepter une mauvaise passe de la défense moscovite et transmet à João, qui double facilement la mise (2-0). Le break acquis, les Sibériens se regroupent en défense et commencent à procéder par contre. Un changement de tactique qui permet d’abord aux Bleu et Blanc de réduire le score sur un cafouillage entre Formine et Fernandinho (2-1). Les Rouges continuent néanmoins à exploiter la moindre perte de balle de leurs adversaires pour se ruer vers le but, à l’image du slalom de João entre deux dynamovtsy, qui laisse Santana libre de tout marquage pour inscrire son second but (3-1).

Le Dynamo ne trouve pas la solution (© Adrien Morvan / Footballski)
Le Dinamo ne trouve pas la solution (© Adrien Morvan / Footballski)

À la pause, le résultat est assez inespéré pour Novossibirsk, qui mène contre l’actuel leader du championnat. Le festival se poursuit au retour des vestiaires, avec une frappe au ras du poteau de Leo Santana qui surprend Poddobny (4-1) et un ballon taclé dans les buts par le remplaçant Timochtchenko sur une touche laser de João (5-1). Ce cinquième but signe le réveil du géant Fernando, qui profite d’un relâchement du marquage pour marquer deux pions coup sur coup (5-2 et 5-3). C’est encore un remplaçant qui permet aux Sibériens de maintenir l’écart : Koudziev détourne une frappe molle de João au fond des filets (6-3). Hélas, rien ne semble pouvoir arrêter le gros Fernand, qui réduit une fois de plus le score (6-4) et adresse un centre millimétré pour la première réalisation de Sergeïev (6-5), entré en jeu à la place de Bourkov.

Le banc du Dinamo fait la différence en fin de match : le russo-brésilien Poulo est de tous les combats, et la défense du Sibiriak commence à craquer. Les Bleu et Blanc obtiennent un penalty à 10 mètres quelques minutes avant la fin du match. Ce n’est pas le premier de la rencontre : en première période, les Rouges ont raté deux penaltys, repoussés par Zamtaradze, le gardien spécialiste de l’exercice. Au futsal, il y a souvent un portier remplaçant affecté aux penaltys, et chacun possède sa technique. Zamtaradze, par exemple, quitte sa ligne de but et vient se positionner à la limite de la surface pour fermer l’angle du tireur. Ce n’est pas le choix que fait Poddoubny à la 40e minute : il préfère rester bien campé sur sa ligne de but. Fernandinho ne se fait pas prier et place sa frappe hors d’atteinte du Sibérien (6-6).

La technique du gardien sur pénalty a permis au Dynamo de ne pas sombrer (© Adrien Morvan / Footballski)
La technique du gardien sur penalty a permis au Dinamo de ne pas sombrer (© Adrien Morvan / Footballski)

En dépit de la folle remontada du Dinamo, la salle continue de pousser les locaux, entraînée par les ultras, qui ne se sont pas arrêtés de chanter une seule minute. Ce soutien sans faille finit par payer :  Volyniouk s’échappe dans la défense adverse et inscrit son seul but de la rencontre au courage (7-6). On aurait bien voulu que le score en reste là, mais c’était sans compter sur l’inévitable Fernando. Parti des limites de la surface, le bulldozer a tracé tout droit dans les buts de Novossibirsk, emportant tout sur son passage pour arracher l’égalisation (7-7). Boaventura aurait pu redonner l’avantage au Sibiriak, mais ses deux tentatives en fin de match ont échoué sur le poteau. Tant pis, il faudra aller chercher la qualification en finale à Moscou !

Alors que je m’étais rendu au match en traînant les pieds, je dois bien avouer que cette première excursion dans le monde du futsal m’a laissé une très bonne impression. Le jeu est vivant, les buts s’enchaînent et l’aspect tactique de ce football miniature est vraiment captivant. Là où les stades de conception soviétique font capoter toute tentative de mettre un peu d’ambiance, le futsal, avec son petit terrain et ses tribunes rapprochées, permet de faire monter la ferveur assez vite. Ça crie, ça chante, il ne reste plus qu’à trouver le chemin de la buvette et tout sera parfait… Quelque chose me dit que la trêve hivernale ne sera plus jamais la même !

Fernando dans ses œuvres (© Adrien Morvan / Footballski)
Fernando dans ses œuvres (© Adrien Morvan / Footballski)

Les notes Footballski :

Sibiriak Novossibirsk vs. Dinamo Moscou

Le standing du stade (3/5) :

La salle est en fait un gymnase reconverti en mini-stade grâce à des tribunes démontables. Du coup, on est vraiment très près du terrain, quel que soit le secteur choisi. Néanmoins, il vaut mieux prendre une place un peu en hauteur et bien centrée pour mieux apprécier le spectacle.

Disponibilité des billets (2/5) :

Attention, le Sibirirak possède un noyau de supporters fidèles et les billets se vendent comme des petits pains. La vente s’effectue uniquement sur place dans les deux heures précédant le coup d’envoi, donc il vaut mieux arriver en avance pour avoir du choix.

Tarifs (5/5) :

Le ticket coûte entre 150 et 250 roubles (entre 1,75 et 3€), une misère.

Ambiance (3/5) :

L’atmosphère est vraiment sympa, avec un parcage d’ultras qui donne de la voix et un public enthousiaste. La mi-temps et les temps morts sont occupés par des numéros de pom-pom, dans la grande tradition du hockey. Dommage que les supporters du Dinamo n’aient pas fait le déplacement, mais on les imagine mal faire deux fois 3000km pour 50 minutes de futsal.

La souplesse et la technique : des qualités primordiales au futsal (© Adrien Morvan / Footballski)
La souplesse et la technique : des qualités primordiales au futsal (© Adrien Morvan / Footballski)

Risques (5/5) :

Le seul danger qui vous guette, c’est de prendre un ballon perdu si vous êtes assis pas trop loin des buts. Les gardiens jouent sans gants (mais avec beaucoup de pansements), donc la douleur doit être supportable.

Accessibilité et transports (3/5) :

Pour trouver la salle, il faut d’abord chercher l’université d’architecture (SIBSTRIN), qui se situe à quelques encablures de la station de métro Oktiabrskaïa (ligne rouge). Le plus simple reste de prendre le minibus 45 depuis la gare et de descendre à l’arrêt Oktiabrski Ounivermag, à deux minutes à pied du campus.

Boissons (2/5) :

Impossible de trouver la buvette à la mi-temps, j’en suis donc réduit à faire des suppositions à partir des emplettes de mes voisins : pas d’alcool, comme toujours dans les stades en Russie, mais beaucoup de sodas fluo et de chips à l’oignon. Petite décéption : le stand brochettes du Sibir Novossibirsk n’avait pas fait le déplacement.

Quartier environnant (2/5) :

Rien de spécial à signaler, l’université d’architecture est un bâtiment plutôt typique des établissements d’enseignement supérieur en Russie, et le quartier autour n’a rien de remarquable. La place centrale est à une station de métro, donc on pourra s’y rendre rapidement après le match.

Adrien Morvan


Image à la une : © Adrien Morvan / Footballski

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