Peu de villes comme Moscou peuvent se targuer d’avoir autant de clubs de football (Spartak, Dinamo, CSKA, Lokomotiv, Torpedo…). Et peu d’entraîneurs peuvent se targuer de les avoir tous entraînés ! C’est pourtant le cas de Konstantin Beskov« Konstantin qui? » entendrait-on en Europe.

Ce nom en Russie, c’est l’emblème du beau jeu durant l’Union soviétique, ce sont les titres glanés avec toutes les équipes qu’il a coaché, c’est le duel tactique Beskov (Spartak Moscou) / Lobanovsky (Dynamo Kiev) durant les années 80 mais aussi les grands moments de la sélection soviétique.

Beskov, le joueur

Début de carrière. | © sportkadr.ru
Début de carrière. | © sportkadr.ru

Konstantin Ivanovich Beskov est né à Moscou le 18 novembre 1920. D’une famille ouvrière, le petit Konstantin a vécu son enfance dans un appartement communautaire sans confort de l’Avenue Entusiastov. Konstantin a à peine six ans quand son oncle l’amène à un match de football. Pour lui, c’est la révélation : il sera footballeur. Deux ans plus tard, sa mère lui offre un ballon de football qu’il gardera toute sa vie. Dès lors, quand l’occasion se présente, Konstantin passe son temps libre à jouer au football, à taper le ballon contre le mur dans un terrain vague et à jouer avec ses camarades de quartier contre le quartier voisin. Beskov joueur est né dans les rues de Moscou. Et à force de jouer, Konstantin grimpa rapidement les échelons. Il intégra l’équipe de l’usine 205 et en même temps fût capitaine de l’équipe du Parc de Tagansky avec laquelle il remporta un trophée en 1936. L’année suivante il intégra l’équipe « Serp i Molot » puis de 1938 à 1940, le club Metallurg de Moscou en Championnat d’URSS. Régulièrement titulaire, il y joua 44 matchs et marqua 13 buts en tant qu’attaquant.

En 1940, Beskov intègre l’Armée Rouge. En 1941, il est cependant transféré au Dinamo Moscou jusqu’au début de la guerre durant laquelle il est affecté dans une brigade spéciale motorisée de Moscou. Au fur et a mesure que la guerre s’éloigne, Beskov reprend l’entraînement. Il devient champion d’URSS avec le Dinamo en 1945 devant le CDKA (désormais CSKA). Pendant plus de cinq ans, ces deux équipes auront la mainmise sur le Championnat soviétique. Cela s’arrêtera en 1952 avec la victoire du Spartak. Beskov a eu le temps de remporter un deuxième championnat en 1949 puis une Coupe d’URSS en 1953.

Tournées et défaite légendaires

Après avoir remporté le premier Championnat soviétique d’après guerre, Beskov participa et s’illustra lors de la légendaire tournée du Dinamo Moscou en Grande-Bretagne. A ce moment-là, aucun club étranger n’avait pu ramener une victoire du Royaume-Uni. Le Dinamo s’y est imposé deux fois (10-1 contre Cardiff City et 4-3 contre Arsenal) et a fait match nul face à Chelsea (3-3) et aux Rangers (2-2). Beskov, quant à lui, a ébloui l’Angleterre en marquant cinq buts et réalisant quatre passes décisives. En 1947, le Dinamo Moscou effectuera une deuxième tournée, cette fois en Scandinavie, avec un bilan de trois victoires face à Norrköping (5-1) lors de laquelle Beskov marque un triplé, face à Göteborg (5-1) et face à Skeid (7-0). Beskov et Trofimov furent les héros de cette tournée marquant à eux deux neuf buts. Ces tournées d’après-guerre ont permis aux Européens d’apprécier le talent des joueurs soviétiques parfaitement inconnus en Europe et les avancées faites dans la tactique de jeu grâce à des entraîneurs comme Mikhail Yakushin.

En tournée avec le Dinamo. | © championat.ru
En tournée avec le Dinamo. | © championat.com

En 1952, Konstantin Beskov participe aux Jeux Olympiques d’Helsinki avec la sélection soviétique. Disposant des Hongrois (2-1) au tour préliminaire, les Soviétiques affrontent les Yougoslaves au premier tour. Les relations conflictuelles entre Staline et Tito (dirigeant de la Yougoslavie) firent de ce match un enjeu national pour les deux États. Menés 3-0 à la mi-temps, les Soviétiques arrachèrent le nul 5-5, obligeant les deux équipes à se rencontrer à nouveau deux jours plus tard. Cette fois, les Yougoslaves remportèrent le match 3-1 et les dirigeants soviétiques le prirent comme une honte nationale. L’entraîneur Boris Arkadiev, alors décoré Maître du Sport d’URSS en 1942, fut déchu de tous ses titres. Certains joueurs, parmi lesquels Beskov, furent privés de leurs décorations obtenues durant leur carrière. Ils furent cependant tous réhabilités par la suite mais Konstantin Beskov comprit qu’une défaite pouvait attirer la colère des dirigeants et entraîner de fâcheuses conséquences.

Beskov, l’entraîneur

Sa carrière de joueur prit fin en 1954. Il joua 231 matchs et marqua 104 buts en Championnat URSS. Il prépara donc sa reconversion en tant qu’entraîneur. Tout d’abord, assistant en sélection soviétique pendant un an (1955), puis entraîneur du Torpedo Moscou (1956) avec lequel il eut l’objectif de garder l’équipe en Ligue Supérieure, puis ensuite éducateur au centre de formation de Luzhniki (1957-1960), où il put y rencontrer les futurs vainqueurs des Jeux olympiques de Melbourne ou de futurs Masters du Football Soviétique tels que Valeri Voronin au Torpedo, Gennadi Logofet, Vladimir Fedotov ou encore Victor Shustikov. Ce dernier raconte:

« Beskov nous expliquait l’exécution technique du geste, puis nous montrait clairement plusieurs fois comment le faire, d’abord au ralenti puis de plus en plus vite. »

De 1960 à 1962, il prit les commandes du CSKA, finissant deux fois quatrième du championnat d’URSS. Ses passages au Torpedo et au CSKA ont révélé un entraîneur s’appuyant sur les jeunes au plus grand dam des dirigeants qui voyaient les joueurs expérimentés ne pas jouer. Beskov était un faiseur de miracles, disposant d’une équipe au plus bas et lui évitant la relégation (comme avec le Torpedo) ou l’amenant jusqu’aux sommets. C’est le cas avec le Zarya Lugansk qu’il entraîna pendant deux ans (1964-1965). Alors en deuxième division, il fit passer l’équipe de la Donbass de la vingt-et-unième à la troisième place, c’est-à-dire la promotion. A la suite d’un passage éclair au Lokomotiv, il retourna vers le club qui lui permit de se révéler, le Dinamo Moscou (1967-72). Il remporta alors deux  coupes d’URSS (1967, 1970) et en fit le premier club soviétique à atteindre une finale de Coupe d’Europe. En 1972, le Dinamo Moscou joua  en effet la finale de la Coupe des vainqueurs de Coupe contre les Rangers à Barcelone. Ils s’inclinèrent 3-2 – l’Espagne ne sera jamais une terre de victoires pour Konstantin Beskov… Cette défaite fut celle de trop et Beskov quitta le Dinamo.

Beskov et le Spartak

En 1976, le Spartak était dans une situation inhabituelle pour un club de son rang. En effet, le club était descendu de la Ligue Supérieure d’URSS. Les dirigeants souhaitaient relancer le club en faisant appel à un entraineur susceptible de les ramener vers les sommets. Le Spartak pensa logiquement à Konstantin Beskov. Joueur phare du Dinamo Moscou, grand rival du Spartak, Beskov refusa plusieurs fois l’offre au départ. Cependant, l’insistance du politburo eut raison de Beskov, qui finalement accepta. Un début d’histoire pas forcément encourageant… Et pourtant! Les douze années de l’ère Beskov au Spartak restent encore dans les mémoires des supporters comme les plus belles jamais vécues.

A son arrivée, Beskov engagea des jeunes joueurs méconnus tels que Rinat Dasaev d’Astrakhan, Georgi Yartsev de Kostroma, Sergei Shablo de Riga et Yuri Gavrilov du Dinamo Moscou. Effet fulgurant puisqu’en 1977, le Spartak remporte la Première Ligue (équivalent de la seconde division), finit cinquième de Ligue Supérieure en 1978 et remporte  finalement le Championnat en 1979 ! Durant les onze années suivante, le Spartak se battra avec le Dynamo de Lobanovsky, remportant au passage un deuxième Championnat en 1987. En résumé, l’ère Beskov c’est un total de 186 victoires et un modèle de jeu qui, au regard du football actuel, représentait l’idée même du beau jeu.

Beskov vs. Lobanovsky

L’ère Beskov au Spartak n’aurait pas eu autant d’impact sans un adversaire de taille. Et cet adversaire n’était autre que le Dynamo Kiev de Lobanovsky. Mais les confrontations entre le Spartak et le Dynamo Kiev ne se résumaient pas au seul résultat ou à la rivalité importante des supporters des deux clubs (dans les années 80, la rivalité  était énorme et était au même niveau que les rivalités « naturelles » du Spartak avec le Dinamo Moscou ou le CSKA). Les confrontations étaient devenues, grâce à leurs stratèges respectifs, un duel tactique, un combat pour asseoir une vision du football. Le football pour Lobanovsky était un jeu physique basé sur une discipline de fer. Inspiré du football total néerlandais, l’équipe se déplace en bloc, demandant à tous ses joueurs un effort constant. Le football pour Beskov est un jeu offensif à base de passes courtes destinées à développer l’action au fur et à mesure. Ce football peut aussi intégrer des actions rapides vers l’avant, mais toujours à base de passes courtes.

Les deux grands stratèges. | © obrolanurban.com
Les deux grands stratèges. | © obrolanurban.com

Durant l’ère Beskov, le Dynamo Kiev de Lobanovsky prit plus souvent le dessus mais cela n’empêcha pas Beskov de garder sa philosophie de jeu, ni ses admirateurs de continuer à le supporter. Il est vrai que Lobanovsky était perçu comme un entraîneur à cheval sur la discipline sur le terrain comme en dehors contrairement à Beskov qui donnait un peu plus de libertés à ses joueurs.

Le coach du Spartak monta une équipe faite de joueurs au talent énorme: Rinat Dasaev, Yuri Gavrilov, Vagiz Khidyatullin, le renard des surfaces Sergei Rodionov, le rapide Sergei Shavlo et évidemment le grand meneur de jeu Fyodor Cherenkov. Ce dernier souffrit d’ailleurs de cette rivalité, au point de ne jamais être sélectionné lorsque Lobanovsky fut aux commandes de la sélection soviétique.


Voir aussi : Fyodor Cherenkov, légende malgré la maladie


En 1988, lorsque Konstantin Beskov fut renvoyé durant ses vacances sans le savoir, après une décevante quatrième place lors du championnat précédent, on pouvait penser ne plus revoir cette philosophie de jeu au Spartak. Mais bien au contraire son protégé Oleg Romantsev perdura la tradition et permit grâce à cette philosophie conservée d’asseoir la suprématie du Spartak durant les années 90 avec pas moins de 8 championnats de Russie à son actif. L’héritage de Beskov/Romantsev est d’ailleurs de retour au Spartak depuis 2014 avec Dmitri Alenitchev, joueur emblématique des années 90.

Beskov avec son protégé Fyodor Cherenkov. | © championat.com
Beskov avec son protégé Fyodor Cherenkov. | © championat.com

La sortie peu académique de Konstantin Beskov du Spartak et la chute de l’Union Soviétique n’ont pas empêché Konstantin de continuer à entraîner… au Spartak, plus précisément au FK Asmaral Moscou pendant deux ans. Il rejoignit ensuite, à l’âge de 75 ans, le Dinamo Moscou (1993-95) avec lequel il gagna la Coupe de Russie en 1995 (dernier trophée du club).

Beskov et la sélection soviétique

Au cours de sa longue carrière d’entraîneur, Beskov a aussi marqué de son empreinte la sélection nationale soviétique. Il l’a prise en main à de nombreuses reprises au cours de sa carrière.

Il devint l’entraîneur principal de la sélection soviétique pour la première fois en 1963 et participa à l’Euro 64 qui s’est déroulé dans une Espagne encore dirigée par Franco. Vainqueurs de l »Euro précédent, les Soviétiques réalisèrent un parcours sans faute (3-1 contre l’Italie, 4-2 contre la Suède, 3-0 contre le Danemark) jusqu’à la finale contre le pays organisateur au Santiago Bernabeu à Madrid. Dans un stade acquis à la cause espagnole avec 79 000 supporters, les Soviétiques se font surprendre d’entrée de match avant d’égaliser deux minutes plus tard. Le score restera serré jusqu’à cette 84ème minute qui voit Rodriguez marqué le but victorieux devant Franco lui-même, présent pour l’occasion. Beskov a dû se remémorer le traumatisme de 1952 face aux Yougoslaves. Nikita Khrouchtchev eut même une telle colère : « Vous avez déshonoré le drapeau rouge ! Vous avez sali l’honneur de l’État soviétique« . Et les sanctions furent les mêmes qu’en 1952…

Beskov aurait pu s’effondrer après ce revers, tant pour entraîner un club que pour diriger la sélection de nouveau. Mais Konstantin est revenu en 1974 pour diriger la sélection olympique soviétique. Il participa aux Jeux olympiques de Montréal de 1976 et ne put accrocher que la médaille de bronze en battant le Brésil 2-1 lors de la petite finale. Durant son long passage au Spartak, il fut à nouveau sélectionneur de l’équipe nationale de 1979 à 1982. Il participa aux Jeux olympiques de Moscou où les Soviétiques terminèrent une nouvelle fois sur la troisième marche du podium. Durant la Coupe du monde 82 en Espagne, les Soviétiques ne parvinrent pas à passer le deuxième tour en ayant pourtant battu la Belgique 1-0 et fait match nul face à la Pologne 0-0. Déception encore pour Beskov qui était assisté de deux adjoints : Nodar Akhalkatsi (Dinamo Tbilissi) et Valeri Lobanovsky lui-même. Beskov lâchera une cinglante réponse aux dirigeants qui résume bien son parcours mouvementé avec la sélection:

« L’équipe nationale a certainement joué au-dessous de ses capacités, mais déclarer que l’ensemble de son jeu à la Coupe du monde en Espagne était insatisfaisant ne pouvait venir que de notre Fédération de football et du Comité des sports de l’URSS, qui depuis des décennies ont évalué les interventions de tous les athlètes soviétiques de cette manière: Il a gagné, c’est un héros ; il a perdu, c’est un lâche et un faible. »

Ses enseignements

Konstantin Beskov attachait une importance particulière à l’intelligence footballistique et aux qualités humaines de ses joueurs.

« En premier lieu, je m’inquiète de la compréhension du jeu, si on peut dire, la profondeur des sentiments pour le football. Le plus important c’est la tête, et non le physique. Les aptitudes naturelles, la rapidité et la technique peuvent largement compenser le manque de qualité physique. Mais l’absence de qualités humaines est difficile à compenser. »

@ sports.ru
Le professeur | @ sports.ru

Il pensait que le football était un spectacle. C’est la raison pour laquelle il ne regardait jamais les matchs du banc mais des tribunes.

« Je me mettais toujours dans les tribunes pour pouvoir apprécier la physionomie du jeu. De plus, je devais toujours ressentir l’humeur des spectateurs. Il était important pour moi de savoir comment les supporters évaluaient mes joueurs. Si nous avions gagné mais que le jeu avait été décevant, j’étais mécontent car nous jouons pour les spectateurs. »

Humain, tacticien et charismatique, il a la reconnaissance de la Russie ainsi que du monde footballistique. Il a en effet apporté sa pierre à l’évolution du jeu à travers une philosophie qui nous fait penser de nos jours à Guardiola et au jeu du FC Barcelone. De nombreux amoureux du football sont en extase devant les matchs du Barça. Beskov en fût un des précurseurs et ça, il est toujours bon de le rappeler, surtout sur Footballski. Son décès, le 6 mai 2006, fut une perte pour tous les supporters de tous les clubs de Moscou malgré les nombreuses rivalités qui existent entre les clubs. Konstantin Beskov est le tacticien de tous les Moscovites. Et ce, pour toujours…

Vincent Tanguy


Image à la une : © itogi.ru

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