Quand on se penche sur les attaquants qui sévissent en Superleague, ce n’est pas forcément le nom le plus connu. Ni celui qui occupe le plus la scène médiatique au-delà des frontières grecques. On retiendra plutôt l’ancien Sochalien Brown Ideye (Olympiakos), l’ancienne cible de l’OM Marcus Berg (Pana), ou éventuellement le Portugais Hugo Almeida (AEK). Et pourtant, au sein des 16 équipes qui composent cette division, se cache un joueur très talentueux, et encore méconnu. Il s’agit de Karim Ansarifard, attaquant iranien de Panionios âgé de 26 ans, et qui fait tourner toutes les têtes en Grèce.

Ali Daei, le détonateur

La première explication quant à la relative méconnaissance qui entoure Ansarifard réside dans son arrivée tardive en Europe. Natif d’Ardabil, au nord-ouest du pays, à une cinquantaine de kilomètres de la mer Caspienne, le jeune garçon entame sa carrière dans le club de Saipa, qui porte le nom de la marque de fabricant de voitures qui le sponsorise. Pour y arriver, Ansarifard a profité d’un petit coup de pouce du destin : Saipa avait organisé, à ce moment-là, un camp d’entrainement dans sa ville, Ardabil. La suite ? Le jeune attaquant tape dans l’oeil de la légende locale Ali Daei, alors coach de Saipa et qu’il considère comme son idole, qui le fait ensuite venir dans les structures de jeunes. En parallèle, il découvre la sélection nationale U17, quand il évolue encore au Zob Ahan Ardabil F.C.

Une fois arrivé chez les Oranges, son destin s’accélère encore davantage. Plus précisément lors de la saison 2007-2008. Mohsen Khalili parti, la pointe de l’attaque est vide, et l’équipe en cruel manque d’efficacité. Ali Daei, qui ne l’a pas oublié, décide de le faire venir en équipe première, l’année de sa majorité. Si la première saison n’est pas forcément hyper prolifique – 2 buts en 23 apparitions toutes compétitions confondues – Ansarifard vient de poser les bases de son envol. Jusqu’à la fin de la saison 2011-2012, il enchaînera les matchs avec Saipa, pour boucler son aventure avec les « Faiseurs de voitures » sur un beau total de 56 buts en 131 rencontres.

Avec la sélection, il connaîtra d’abord les U20 et les U23 (20 sélections au total, pour 10 réalisations), avant de débuter chez les A en novembre 2009, sous les ordres d’Afshin Ghotbi. Pour l’anecdote, vêtu du n°10 appartenant auparavant à Ali Daei, encore lui, il marquera le seul but du match. On a connu pire bizutage, pour celui qui deviendra, par la suite, le plus jeune buteur de l’Iran en Coupe d’Asie, en marquant contre la Corée du Nord (victoire 1-0), un soir de janvier 2011, pour ce qui restera son « but le plus mémorable » en sélection.

© Tabarez at English Wikipedia

Intérêt européen, mais signature à Persépolis

Forcément, ses prestations à Saipa ne passent pas inaperçues au-delà des frontières iraniennes. Lors de la saison 2009-2010, il dépasse la barre des 10 buts pour la première fois de sa carrière. Dortmund, le Steaua Bucarest et même Everton le cochent dans leurs listes, et font même des offres pour certains (prêt payant de 200.000€), mais personne n’arrive à empocher la mise. Sa condition d’extra-communautaire n’arrange pas les choses, et Ansarifard reste finalement à Saipa et au pays. Au sortir de sa meilleure saison (21 buts en championnat, meilleur buteur), il débarque finalement dans l’un des gros clubs du pays, le Persepolis Football Club, avec le sentiment du devoir accompli. « Durant mes six saisons avec Saipa, un de mes objectifs était de devenir le meilleur buteur du championnat. Par chance, j’ai pu le réussir à 21 ans, et, au final, ce fut le seul titre que j’ai obtenu avec le club », déclarait-il lors d’une interview sur le site de la FIFA, en 2012.

Un choix qui peut surprendre, eu égard à l’intérêt suscité, mais qui est aussi mûrement réfléchi. « J’ai eu des offres d’Europe et de pays arabes avant cette saison, reconnaît-ilMais personnellement, je préfère le championnat espagnol. Et par rapport à Persepolis, mon contrat me permet de partir quand je le souhaite, pour aller dans un club étranger. » Vu comme ça, cela semble être la bonne décision. Celle d’un joueur soucieux de ne pas se brûler les ailes trop tôt. D’attendre le bon moment, pour rejoindre l’Espagne de son joueur préféré : Fernando Torres.

Avec son numéro 9 sur le dos, Karim Ansarifard, qui a par ailleurs étudié l’éducation physique à l’Université islamique Azad, vit une saison plutôt contrastée. S’il claque deux triplés – un en championnat contre Paykan, et un autre en coupe contre Malavan -, il ne remplit pas totalement les attentes placées en lui. Du coup, il est progressivement mis de côté, mais décide quand même de rester malgré quelques petites touches dans les Émirats et en Iran. Mais il se fait progressivement une raison et signe, en juillet 2013, après une concertation avec un certain Ali Daei (décidément), dans le club de Teraktor Sazi.

Petite subtilité : conscient qu’il ne va pas s’éterniser à vie en Iran, Ansarifard inclut une clause dans son contrat, qui lui permet d’être libéré en cas d’offre émanant d’un club européen. Avec les Loups Rouges, il casse la baraque, comme revigoré. 17 buts, une Coupe et un titre de meilleur buteur en championnat plus tard, voilà l’attaquant prêt à mettre les voiles. À 24 ans, il n’a plus grand-chose à prouver sur la scène locale. Et comme il l’avait prévu, son petit mécanisme lui permet de rallier le Vieux Continent. Petite cerise sur le gâteau : il fait partie des 23 Iraniens retenus par Carlos Queiroz pour la Coupe du Monde 2014, au Brésil, où il entrera notamment contre la Bosnie à la place de Dejagah. Une expérience forcément enrichissante, comme il l’expliquait, toujours à la FIFA : « Travailler avec Queiroz est très agréable, parce que tu apprends quelque chose de nouveau chaque jour. Il traite ses joueurs d’une manière qui fait qu’on a presque une relation père-fils avec lui. C’est le meilleur entraîneur étranger de l’Iran. »

Queiroz avec Dejagah et notre Ansarifard © Tasnim News Agency

Osasuna, l’expérience ratée

À la fin du mois d’août, il signe deux ans avec Osasuna, alors en deuxième division espagnole. Son rêve de jouer en Espagne est alors réalisé. Dans une équipe, qui plus est, où évolue alors Javad Nekounam, son compatriote iranien, et où Masoud Shojaei a passé cinq saisons entre 2008 et 2013. Pas forcément un voyage en terre inconnue, donc. Et un sacré défi, aussi : celui, à 24 ans, de briller ailleurs que dans son pays natal, dans un football et un environnement totalement différents de ce qu’il connaît. Sortir de son confort, finalement. « J’ai mis toute ma concentration sur Osasuna, et je promets qu’ici je jouerai mon meilleur football »disait-il lors de sa présentation, reconnaissant la « forte influence » de Nekounam dans ce choix, lui qui lui a « très bien parlé du club et des supporters ».

Mais à Pampelune, en Navarre, il n’est que l’ombre de celui qui affolait les défenses perses quelques mois auparavant. Son temps de jeu n’est pas si conséquent (17 apparitions sur la saison pour 682 minutes au total), mais c’est surtout son efficacité qui fait défaut : il ne trouve pas le chemin des filets. Pas une seule fois. Alors, forcément, cela devient plus compliqué pour lui. Ses compatriotes demandent de la patience au club, arguant qu’il faut un peu de temps à l’Iranien pour s’adapter et trouver sa vitesse de croisière. « On voit bien que Karim a de bonnes choses en lui, mais on ne peut pas attendre jusqu’en avril ou mai qu’il s’adapte au jeu de seconde division et de l’équipe »répond-on du côté du club. Du coup, la sentence tombe : désormais troisième choix, il ne sera pas retenu en cas d’offre, même dès le mercato hivernal suivant son arrivée.

Voilà comment ce joueur si prometteur, destiné à briller en Europe, s’est perdu en chemin en Espagne, le pays dont il rêvait. Aujourd’hui encore, difficile d’expliquer cet échec. « Les conditions que j’ai eues ici, je ne les jamais eues auparavant, et il n’y a jamais eu personne pour me tendre la main. J’espère qu’ils me donneront l’opportunité de démontrer qui je suis. J’ai joué peu de matchs »regrettait-il lors d’une conférence de presse pleine de franchise (et plutôt surprenante) au mois de mai 2015. Et lorsqu’on le questionne si ses problèmes étaient plutôt d’ordre extrasportif, sa réponse laisse planer le doute : « Je pourrais écrire un livre sur ce qu’il s’est passé à Osasuna. J’espère qu’une fois qu’on sera sauvé, je pourrai parler de tout ce qui s’est passé. Ce fut une année dure et difficile, mais l’objectif est qu’Osasuna ait du succès. » Sa relation avec Jan Urban, l’entraîneur polonais, n’est clairement pas au beau fixe.

Forcément, le coup est rude pour un joueur qui s’imaginait toute autre expérience loin de son pays natal. Mais il ne s’avoue pas vaincu : ce n’est pas dans sa mentalité. « Je suis venu en Europe pour avoir du succès. J’ai besoin de jouer, et que la confiance revienne. J’apprécie Osasuna, et j’aimerais beaucoup progresser avec cette équipe. J’ai deux ans de contrat. J’aime les supporters, ils me soutiennent et je les en remercie », glisse-t-il, pour affirmer sa motivation alors qu’un nouvel entraîneur, Enrique Martin, arrive au club.

© I.A.M. | @iamagencyeurope

La renaissance en Grèce

Il n’en sera pourtant rien. Karim Ansarifard n’aura pas l’opportunité de changer les choses à Osasuna, ni d’effacer cette triste saison 2014-2015, la pire de sa carrière. Une seule solution s’offre à lui : le départ. Et c’est à Athènes, plus précisément à Nea Smyrni, qu’il atterrit, dans le club de Panionios. Là, il rencontre un entraîneur qui lui permettra de retrouver son niveau d’antan : Marinos Ouzounidis, connu en France pour son passage au Havre entre 1997 et 1999. Sous les ordres du Grec, Ansarifard retrouve des couleurs, et redevient cet attaquant complet et redoutable, que les défenses ont tant de mal à maîtriser.

La première saison coïncidera d’ailleurs avec une année historique pour le Panionios : entouré de Boumale (4 buts, 7 passes décisives) et de Bakasetas (11 buts, 7 passes décisives), Ansarifard (8 buts, 2 passes décisives) mène son club jusqu’aux playoffs, pour finalement finir à la 5e place. Une performance remarquable, eu égard aux faibles moyens du club (seulement quatre étrangers dans l’effectif, un record en Grèce) et, surtout, à la qualité de jeu pratiquée par les banlieusards athéniens. Mais le rêve s’arrêtera brusquement : l’UEFA n’autorisera pas le club à participer aux éliminatoires de l’Europa League pour manque de garanties financières. Boumale (parti en janvier au Pana) et Bakasetas (AEK) en profitent pour partir, et rapporter un peu d’argent au Panionios.

Ansarifard, lui, a logiquement tapé dans l’oeil de quelques clubs locaux, surtout les plus gros, que ce soit le PAOK, l’AEK, le Pana, ou l’Olympiakos. Tous lui manifestent un intérêt, sans que cela ne se matérialise par une offre pour autant. « Pas dans les priorités », évoque-t-on du côté de l’Olympiakos, qui aime pourtant recruter les meilleurs talents du championnat sans forcément les faire jouer ensuite. Mais on ne semble pas trop chaud à l’idée d’en faire le choix numéro 1 du côté du Pirée. Qu’importe : l’Iranien reste au club, où il est devenu l’un des joueurs majeurs et essentiels, ce qu’il ne serait pas forcément ailleurs. En plus, Masoud Shojaei le rejoint à l’été, histoire de garnir la colonie perse du club. Un choix qui va s’avérer payant.

La première moitié de la saison 2016-2017 qui vient de s’achever fut dans la lignée de la précédente : s’il n’affole pas forcément les compteurs, avec 5 buts et 3 passes décisives en 14 journées, il n’en reste pas moins un joueur très intéressant, capable d’offrir une palette large et variée. Dos au but, en profondeur, jeu aérien, remises à ses coéquipiers, bagage technique : Ansarifard est un véritable attaquant complet. Peut-être le plus complet du championnat, d’ailleurs, avec Ideye et Berg, mais pas forcément le plus prolifique. Son alliance avec Masoud est carrément vitale pour le Panionios : avec 9 buts en championnat à deux, ils représentent près de la moitié des buts inscrits par le club.

Un départ inéluctable

Du coup, l’intérêt se renforce, que ce soit pour lui ou pour Masoud. Pas un jour ne passe sans qu’on n’annonce Ansarifard tantôt à l’AEK, tantôt au Pana, ou tantôt à l’Olympiakos. Mais rien ne se fait, bizarrement, et cela devient même le feuilleton principal au pays : qui arrivera à signer Ansarifard ? Et quand ce n’est pas en Grèce, c’est à l’étranger que son nom apparaît : on le dit surveillé par Feyenoord et des équipes italiennes. En fin de contrat en juin 2017, il n’a toujours pas prolongé, et ne semble pas forcément parti pour le faire, conscient de la liberté que cela lui offre pour négocier son futur. La question d’un départ en janvier se pose alors, histoire que son club puisse tirer profit de son attaquant, quitte à perdre son meilleur élément.

© Hamed Malekpour / Tasnim News Agency

La grande question est de savoir quel choix réaliser, alors qu’à 26 ans, il arrive à un moment charnière de sa carrière. Il n’a plus de temps à perdre s’il veut atteindre le haut niveau. Mais le dilemme se pose : rester en Grèce et tenter sa chance dans un « gros » club (PAOK, Pana, AEK), quitte à ne pas être le n°1 mais en prenant un beau contrat, surtout s’il va à l’Olympiakos, le mastodonte local ? Ou tenter sa chance dans un championnat au niveau supérieur, comme l’Italie, l’Allemagne ou les Pays-Bas, histoire de franchir un vrai palier, dans un club moins ambitieux, mais où il trouvera tout ce qu’il faut pour s’épanouir ? La balle est dans son camp, et dans celui de son club surtout, qui privilégiera sans doute le plus offrant. Mais Karim Ansarifard a un échec en Espagne à effacer des tablettes. Pour prouver que le meilleur est encore à venir, loin de la Grèce. Et qu’il a les capacités pour un jour évoluer dans grand championnat.

Martial Debeaux


Image à la une : © Meghdad Madadi / Tasnim News Agency

1 Comment

  1. Alex 18 janvier 2017 at 4 h 39 min

    Il a choisi l olympiakos malheureusement.
    À voir ce que va faire Yesil le nouvelle attaquant du panionios à la place du perse

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